Entretien fictif avec Jacques-David Le Coultre sur le succès mondial impressionnant des compteurs Jaeger.
Octobre 2022.
Hubert de Haro / HdH Publishing
Mots clefs : Jacques-David Le Coultre ; Edmond Jaeger ; Gustave Delage ; Henri Rodanet ; Edmond Audemars ; Émile-Joseph Philippe ; compteurs Chronoflight ; SAPIC.
Son dernier entretien date de 1936. C’est dire que l’homme se faisait rare ! Il y rappelait alors les résultats exceptionnels de la Le Coultre & Cie - entreprise suisse qu’il dirigeait alors depuis trois décennies. Au fil de notre rencontre, Jacques-David Le Coultre, petit-fils du fondateur de l’actuel marque Jaeger-LeCoultre, atteste d’une lucidité exceptionnelle. Ce dialogue nous a surtout permis de mieux comprendre les relations qu’il entretenait avec Edmond Jaeger, les raisons de leur association ainsi que l’importance déterminante des compteurs d’aviation dans le développement de la future Jaeger-LeCoultre.
Hubert de Haro (HDH) : la marque Jaeger-Le Coultre est considérée par ses pairs, comme une authentique Manufacture d’horlogerie. Elle produit et exporte ses montres dans le monde entier. Comment réagissez-vous à cette notoriété planétaire ?
Jacques-David Le Coultre (JDL) : j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt et d’admiration l’évolution de la Le Coultre même si je trouve regrettable que mon fils Roger et ses héritiers en aient perdu le contrôle familial. Je retiens néanmoins qu’elle demeure le premier employeur de la Vallée. Sous ma présidence, nous avons traversé deux guerres mondiales et de très nombreuses crises. Ma responsabilité ultime a toujours été de contribuer à protéger l’emploi dans la Vallée de Joux. Je vous rappelle que nous avons accordé nos premiers congés payés en 1929, soit sept ans avant le Front Populaire en France. Le travail et le bien-être de nos employés a toujours été la pierre angulaire de notre succès.
HdH : En 1936, pour le Journal Suisse de l’Horlogerie, vous défendez un bilan tout à fait exceptionnel alors que les fondateurs des marques Patek Philippe et Vacheron Constantin perdaient, au même moment, le contrôle de leur société. Quelles sont les raisons de ce succès atypique ?
JDL : Avec 3,5 millions de chiffre d’affaires et 10% de bénéfice net, il est vrai que la Le Coultre suscitait alors de nombreuse jalousie. L’aviation a sans aucun doute servi de détonateur à notre réussite.
L’aviation a sans aucun doute servi de détonateur à notre réussite.
HdH : C’est pour le moins étonnant, pouvez-vous nous en dire plus, entrer dans le détail peut-être ?
JDL : Lorsque les premières « têtes brûlées » se sont lancées dans la conquête de l’air, je collaborais avec l’horloger Edmond Jaeger depuis plusieurs années. Edmond a toujours su s’entourer de créateurs et d’ingénieurs formidables. Alors qu’en 1915, nous développions ensemble un compte-tours, basé sur le brevet de Imhof, j’ai rencontré le pilote Edmond Audemars (1882-1970), dans les usines de moteurs Gnôme à Paris. Il faut savoir que le monde de l’aviation comptait quelques dizaines de fous furieux. Ces aventuriers, souvent des sportifs accomplis, étaient dotés d’incontestables aptitudes d’ingénieurs mécaniciens. Edmond Audemars m’a proposé de tester sur son propre avion ce nouveau compteur. L’essai s'est avéré concluant. Il en a même partagé l'intérêt avec le cercle très restreint de ses amis aviateurs. Nous étions alors en plein conflit mondial et l’aviation militaire constituait une arme redoutable que chacun des belligérants souhaitait perfectionner.
Les pionniers de la longue histoire de la conquête de l'air ont marqué les esprits durablement. Leurs étranges machines volantes ont permit à d’audacieux pilotes de tenter de réaliser le rêve d'Icare. Le 25 Juillet 1909, le constructeur et pilote Louis Blériot fut le premier d’entre eux, et véritable initiateur de cette course aux exploits, en traversant le canal de la manche pour la première fois. A la suite de cette formidable accomplissement, les centaines d’avions Blériot XI seront équipés d’un compte-tour Jager. © http://cockpitclock.com
HdH : En quoi la rencontre avec le pilote Edmond Audemars a-t-elle été si décisive ?
JDL : Aux premiers mois du conflit mondial, nous avons assisté à une réduction drastique de nos portefeuilles de commandes de mouvements et ébauches pour l’horlogerie. J’ai décidé d’entreprendre sérieusement trois nouvelles industries : munitions, appareils compte tours et tubes pour injections hypodermiques.
Edmond Jaeger possédait à l’époque l’un des meilleurs bureaux techniques mondial. Afin de mieux organiser la production de nos projets communs, je me rendais souvent à Paris. En adoubant notre premier compte-tour, Edmond Audemars nous a ouvert la voie à une coopération avec les aviations militaires françaises, anglaises et américaines.
En adoubant notre premier compte-tour, Edmond Audemars nous a ouvert la voie à une coopération avec les aviations militaires françaises, anglaises et américaines.
En 1910, le concepteur Henri Rodanet et son équipe technique de l’atelier Jaeger à Paris, mettent au point le premier compte-tours d’aviation. L’aviation civile puis militaire l’accueillirent avec enthousiasme. Le « Jaeger AM » deviendra rapidement un outil de vol indispensable. © www.cockpitclock.com
HdH : Quel a été l’impact de ces compteurs dans votre production ?
JDL : C’est très simple : entre 1916 et 1920, notre usine du Sentier a travaillé presque exclusivement à cette activité. Nous sommes passés de 89 salariés dédiés à cette production à presque 300, quatre ans plus tard. Pendant cette période, j’estime avoir livré environ cent mil compte-tours aux services militaires. Vous imaginez déjà que ces chiffres allaient s’étioler à la fin du premier conflit mondial. Et bien, pas du tout ! La créativité des Établissements Ed. Jaeger dans les années 20 a généré toute une ligne de compteurs, depuis l’indicateur de vitesse Integer, les compteurs Seg. IV, V, Impar, Imlux, une montre huit jours et, plus encore, le champion toute catégorie : le double chronographe Chronoflight.
La créativité des Établissements Ed. Jaeger dans les années 20 a généré toute une ligne de compteurs, depuis l’indicateur de vitesse Integer, les compteurs Seg. IV, V, Impar, Imlux, une montre huit jours et, plus encore, le champion toute catégorie : le double chronographe Chronoflight.
HdH : La Le Coultre & Cie a donc réussi à traverser le premier conflit et la grande dépression des années vingt grâce à sa production de produits dérivés ?
JDL : En effet. À tel point que les bénéfices générés m’ont permis de racheter à prix d'or les parts des autres actionnaires de la Société Anonyme pour devenir le seul maître à bord.
Premiers compte-tours d'aviation, inventés par l’ingénieur Imhof et produit au Sentier par la Le Coultre & Cie dès 1914. © www.aviation-14-18.fr
HdH : Je comprends mieux votre commentaire sur l’impact de cette rencontre !
JDL : Mais attentez jeune homme ! Edmond Audemars a été un enjeu bien plus important que vous le pensez ! C’était également un redoutable vendeur. En négociant avec Edmond Jaeger et moi-même, l’exclusivité de la vente des compte-tours, il nous a permis d’atteindre des chiffres d’affaires tout à fait exceptionnels, se réservant au passage une commission colossale, estimée à près de cinq millions de francs suisses. Une véritable fortune ! Or son rôle ne s’arrête pas là !
Dans cette photographie prise entre 1910 et 1912 , Edmond Audemars - signalé par une flèche au centre -pose avec ses amis pilotes dont Roland Garros. Détenteur de plusieurs records mondiaux (premier vol Paris-Berlin en un jour (1913) et record de vol en altitude - 6600 mètres - en 1915), il devient chef-pilote chez Louis Blériot. En 1915, il teste les compte-tours Jaeger et en négocie l’exclusivité des ventes. Dans ses mémoires, il atteste en avoir commercialisé 120.000 aux aviations militaires françaises, anglaises et américaines. Il engrange ainsi une fortune colossale de 5 millions de francs suisse, ce qui lui permet de rentrer au capital des maisons Jaeger à Paris et LeCoultre & Cie au Sentier en 1917, et d’en assumer leur direction commerciale pendant plusieurs décennies. © Livre Jaeger-LeCoultre "La Grande Maison" par Franco Cologni.
HdH : Comment cela ?
JDL : En 1917, Edmond Audemars nous a très largement soutenu dans notre projet de fusion des entreprises Le Coultre & Cie et des Établissements Ed. Jaeger. Nous avons ainsi ouvert le capital de nos deux sociétés à des pilotes et des industriels de génie.
Première tentative de constitution d’un groupe économique réunissant les Établissements Ed. Jaeger de Paris et la Le Coultre & Cie du Sentier. On y remarque qu’Edmond Jaeger et Jacques-David Le Coultre perdent la majorité dans leur propre entreprise. Toutefois, cette ouverture de capital leur permettra d’assainir leurs situations financières respectives, de dégager une capacité d’investissement notable et enfin d’impliquer de jeunes et brillants partenaires dans le développement de ce qui deviendra dans la fin des années 20 la SAPIC, Société Anonyme de Protection Industrielle et Commerciale. © François Jequier.
HDH : Je m’étonne de vous voir céder la majorité du capital de la Le Coultre & Cie, après avoir bataillé si durement pour en acquérir le contrôle total.
JDL : Imaginez réunir autour d’une même table, Laurent Seguin, inventeur des moteurs Gnôme, les frères Morane et Voisin, constructeurs d’aviation, ou encore Gustave Lepage (1883-1946), lui-même inventeur d’aéroplanes et directeur technique de la société Nieuport ! Les idées fusaient !
HDH : Tout de même, ne plus posséder que 10% de la Le Coultre a très certainement créé des animosités dans la famille !
JDL : Cette fusion a été accueilli avec défiance. Peu ont compris qu’il s’agissait des prémisses du groupe Jaeger-Le Coultre. Et même si un an plus tard, pour des raisons fiscales, nous avons scindé à nouveau les Établissements Ed. Jaeger et ma Le Coultre & Cie, les nouveaux actionnaires sont restés à bord, n’ayant cessé d’œuvrer à notre succès.
Cette fusion a été accueilli avec défiance. Peu ont compris qu’il s’agissait des prémisses du groupe Jaeger-Le Coultre.
L’avenir m’a donc donné raison jeune homme ! Même si Edmond est décédé trop tôt, en 1922, j’ai traversé toutes les crises avec tous les hommes forts de cette première association : Gustave Lepage aux finances, Edmond Audemars aux ventes et Henri Rodanet (1884-1956) à la création.
En 1940, nos compteurs figuraient sur les principaux tableaux de bord d’aviation, comme par exemple le Douglas SBD Dauntless et le Grumman TBF Avenger. Le succès était bien planétaire !
En 1940, nos compteurs figuraient sur les principaux tableaux de bord d’aviation, comme par exemple le Douglas SBD Dauntless et le Grumman TBF Avenger.
Une des nombreuses versions du Calibre 8 jours Chronoflight, produit ici pour la filiale américaine de Jaeger. Il a très certainement équipé de noombreux avions de chasse Douglas SBD-5 DAUNTLESS 2. Cadran 24 heures avec date et double chronographe. © www.relojdeavion.es
HDH : Vous disiez qu’Edmond Jaeger était décédé « trop tôt » ?
JDL : Nos relations ont débuté lors de l’Exposition Universelle de Paris de 1900. L'époque n'était plus aux chronographes de Marine que l’atelier Jaeger peinait à commercialiser. Il a décidé de se lancer dans les montres extra-plates dont il nous a confié une partie de la production.
Edmond savait s’entourer de talents. En 1903, il recrute, dès sa sortie de l'Ecole d'Horlogerie de Paris, Henri Rodanet, que j’ai déjà mentionné. Celui-ci et son équipe seront à l'origine de multiples brevets essentiels, comme les compte-tours Aviation Militaire et Chronoflight, ou encore les calibres de montres Duoplan et Reverso. Ces modèles feront la fortune de nos deux sociétés.
HDH : Pourquoi ce premier contrat avec Edmond Jaeger était-il important ?
JDL : Essentiellement pour trois raisons. Tout d’abord, nous avons dû moderniser nos outillages et former notre personnel. Que de nuits blanches ! Par ailleurs, en signant sans l’entremise de notre habituel intermédiaire à St Croix H. Jaccard & Fils, nous augmentions notre marge sur chaque montre produite. Enfin, nous apportions la preuve que la Le Coultre & Cie pouvait développer des montres terminées.
HDH : Je ne comprends pas !
JDL : Vous voyez la Le Coultre par le prisme du XXIème siècle et vous la comparez à la maison Jaeger-Le Coultre de 2022. Toutefois, à cette époque, notre entreprise n’était qu’un modeste maillon d’une grande chaîne, constituée d’une multitude de fabricants et d’intermédiaires. Souvent, nous ne livrions que des ébauches, à savoir un mouvement sans barillet, ni échappement. Excentrés des pôles producteurs horlogers, j’ai œuvré toute ma vie à concentrer toutes les branches annexes de la montre. J’acceptais d’être tributaire de fournisseurs que pour les spiraux, les ressorts de barillet et les aiguilles. Je voulais une vraie Manufacture.
J’ai œuvré toute ma vie à concentrer toutes les branches annexes de la montre.
HDH : Il est parfois difficile aux collectionneurs actuels de saisir la différence entre les marques Jaeger et LeCoultre. Nous avons bien compris que les activités de guerre ont rapproché vos deux sociétés et permis d’intégrer des nouveaux actionnaires décisifs dans votre succès. Mais quelle était la répartition du travail entre Paris et le Sentier ?
JDL : Au risque de décevoir les grands amateurs de la marque actuelle, l’entreprise d’Edmond Jaeger à Paris concentrait la création des modèles ainsi que leur commercialisation tandis que nous nous chargions en Suisse de la production.
Deux copies russes du célèbre Jaeger Chronoflight. Sa précision mécanique et son utilité dans les cockpits avaient poussé les Russes à imiter le fameux compteurs Jaeger. Ils auraient équipés les avions Policarpov I-16 Rata jusqu’aux MIG 15, au début des années 50. © www.relojdeavion.es
HDH : Cependant, dans les années 1920, vous avez dû céder une partie de votre production aux Établissements Ed. Jaeger, à Paris.
JDL : Nos installations étant par trop exiguës pour suivre la cadence de production des nouveaux compteurs, j’ai pris la décision d’envoyer à Paris trois de mes meilleurs éléments1 pour former exprès un nouvel atelier Jaeger dédié. Et puis, installé à Levallois, l’atelier s’est transformé en une usine qui comptera 1.800 employés en 1946 !
HDH : Et pourquoi ne pas avoir conservé cette production au Sentier ?
JDL : À la fin du premier conflit mondial, les principaux pays européens ont pratiqué un fort protectionnisme. L’augmentation des droits de douane a remis en cause nos exportations. Nous avons même été contraints de nous internationaliser. Pour pouvoir continuer à commercialiser nos compteurs dans le Common Wealth, nous avons ouvert un atelier en Angleterre qui deviendra lui aussi une vaste usine avec plus de 1.400 employés.
Pour pouvoir continuer à commercialiser nos compteurs dans le Common Wealth, nous avons ouvert un atelier en Angleterre qui deviendra lui aussi une vaste usine avec plus de 1.400 employés.
Plusieurs exemples de publicités anglaises pour les « Speedometers » Jaeger. D 1929 à 1937. © www.gracesguide.co.uk
HDH : Les compteurs pour l’aviation et l’automobile ont donc monopolisé l’essentiel des activités des entreprises Jaeger et Le Coultre & Cie durant près de 20 ans ?
JDL : En effet. En 1935, les trois quarts de notre production étaient centrée sur les compteurs pour tableaux de bord. Le succès était tel que nous avons même développé des ateliers de bijouterie et de gainerie à Paris. Les Établissements Ed. Jaeger, dont le carnet de clients comptait des fidèles de longue date, comme les maisons Cartier ou Hermès, jouissaient alors d’une notoriété enviable. Grâce à Henri Rodanet, technicien émérite, artiste autant qu’inventeur, Jaeger a remporté la plus haute distinction à l’Exposition de Paris de 1937. Il a fallu attendre 1945 pour assister à un regain de l’horlogerie, grâce à nos réveils et ªà nos montres en or. Nous produisions alors 4.000 montres par semaine, contre 400 en 1939 !
HDH : Je dois vous avouer que je me suis un peu perdu. J’ai bien compris que les principaux constructeurs automobiles mondiaux s’étaient rendus à la précision Jaeger, tout comme l’écrasante majorité des pilotes d’aviation. Les usines Jaeger de Paris et d’Angleterre produisaient alors des milliers de pièces, exportés dans le monde entier. Alors, quid de la marque LeCoultre ?
JDL : Vous avez tout à fait raison. Un seul chiffre démontre cette asymétrie : en 1933, le bénéfice net de la Le Coultre & Cie s’élevait à environ 100.000 francs suisses. La même année, celui des Établissements Ed. Jaeger atteignait 1,1 millions de francs suisses, 11 fois plus ! Les trois quarts de notre production étaient acquises par Paris. Malgré mes efforts, la marque LeCoultre n’a pris son envol que graduellement. N’oubliez pas que toute l’industrie nous a toujours considéré comme un fournisseur !
Tentative de représentation graphique des différentes sociétés Jaeger et de leurs actionnaires à leur création. Projet en-cours. © HDH Publishing / Hubert de Haro, 2022.
HDH : Le succès des compteurs et globalement des deux entreprises a donc bénéficié surtout à Jaeger.
JDL : Pas seulement. Rappelez-vous que je suis actionnaire de toutes les sociétés Jaeger. Par ailleurs, peu de temps après le décès d’Edmond, Gustave Delage et moi-même avons travaillé à rassembler l’ensemble des activités financières sous une seule société : la Société Anonyme de Participation Industrielle et Commerciale, la SAPIC. Deux nouveaux actionnaires nous ont alors rejoint : Louis et Pierre Cartier. Ils confirmaient par la même leur intérêt professionnel et personnel, pour notre groupe.
Deux nouveaux actionnaires nous ont alors rejoint : Louis et Pierre Cartier. Ils confirmaient par la même leur intérêt professionnel et personnel, pour notre groupe.
HDH : Aujourd’hui, la production des compteurs Jaeger a cessé.
JDL : En effet, le 28 Mai 1991, la marque « Jaeger » a été déposée à l’Institut National de la Protection Industrielle par la société italienne Magneti Marelli. J’ai cru entendre que cette même société est aujourd’hui propriété d’un groupe japonais. Tandis que l’usine anglaise, dont nous étions partenaire à hauteur de 25%, a elle aussi été rachetée, par les allemands VDO dans les années 90.
Ancien catalogue de ventes Jaeger. Date indéterminée. @ Archives de la Manufacture Jaeger-LeCoultre
HDH : Avant de conclure, souhaiteriez-vous évoquer d’autres personnes-clefs de votre parcours ?
JDL : Les historiens ont retenu le nom d’Edmond Jaeger à qui je dois beaucoup. Je vous ai parlé d’Edmond Audemars, de Gustave Delage et d’Henri Rodanet avec lesquels j’ai eu le plaisir de collaborer pendant pratiquement un demi-siècle. En revanche, un autre personnage est trop souvent oublié. Il a pourtant été essentiel. Il s’agit d’Emile-Joseph Philippe.
Un autre personnage est trop souvent oublié. Il a pourtant été essentiel. Il s’agit d’Emile-Joseph Philippe, fils du co-fondateur de la maison Patek Philippe.
HdH : Voulez-vous parler du fils d’Adrien Philippe, co-fondateur de la maison Patek Philippe ?
JDL : Lui-même. C’est une vieille histoire que peu de gens connaissent.
Nous avions livré en 1902, à cette maison genevoise avec qui nous cherchions à approfondir les liens, environ 260 mouvements type répétitions de minutes 17 lignes. Emile-Joseph avait réussi à convaincre les autres membres du conseil2 à nous confier la production de mouvements simples et compliqués pour une décennie. Une fois le contrat signé, Patek Philippe a mis à notre disposition son atelier d’ébauches à Genève, au 41 rue de Rhône, adresse actuelle de la Boutique principale de la marque. Les affaires ont pris un tel essor que je me suis rendu à Sainte-Croix pour convaincre les frères Lebet, des horlogers talentueux, à intégrer l’équipe genevoise.
HDH : La maison Patek Philippe était pourtant un client parmi tant d’autres, une centaine je crois ?
JDL : Pour que vous saisissiez mieux le contexte, la Coultre & Cie comptait 229 clients en 1895. J’ai toujours recherché à réduire ce chiffre et Patek Philippe m’en a offert l’opportunité. En 1907, peu de temps après avoir signé ce contrat, nous sommes passés sous la barre des 80 clients et la maison Patek Philippe représentait à elle seule, le quart de notre facturation générale !
En 1932, j’ai même essayé de racheter Patek Philippe. Mais les actionnaires genevois ont refusé ; j’ai alors quitté l’administration de la société.
HDH : Nous pourrions continuer cet entretien en évoquant d’autres personnages de votre longue carrière, notamment César de Trey ou encore parler de votre décision, en 1937, de commencer à commercialiser vos propres montres sous les noms LeCoultre et Jaeger-LeCoultre.
JDL : En effet jeune homme, mais nous garderons cela pour une autre fois…
Il ne nous est parvenu que ces deux seules photographies d’Edmond Jaeger (à gauche) et de Jacques-David Le Coultre (à droite) . À son décès, le fils de ce dernier - Roger - détruisit l’ensemble des archives photographiques de son père… © archives de la Manufacture Jaeger-LeCoultre
Légende et copyright de la première photographie:
Exemple de compteur Jaeger Chronoflight produit pour l’aviation militaire américaine durant les années 40, signé « Jaeger Watch Co USA », nom de la filiale américaine des Établissements Ed. Jaeger. La société Le Coultre & Cie était également actionnaire de cette société. Ces compteurs se retrouvent parfois en vente sur certains sites spécialisés. ©historicaviationsupply.com
Notes :
1 Auguste Rochat, Robert Meylan et Louis Margot -
2 Antoine Bénassy-Philippe, Antoine Conty, Jules Perrier et Alfred G. Stein de New York
Bibliographie :
JEQUIER François Jequier, "De la forge à la Manufacture Horlogère", Bibliothèque Historique Vaudoise, 1983, 717 pages.
FOSKETT Stephen, How Edmond Jaeger and Jacques-David LeCoultre Joined Forces, www.grail-watch.com. Auteur du blog « The Grail Watch », Stephen reprend la thèse de Nadelhoffer, auteur du dernier livre sur la maison Cartier : Edmond Jaeger aurait travaillé à ses débuts pour la maison parisienne Breguet.
2 commentaires
bonjour , je me suis mis à collectionner les compteurs jaeger des années 30 , existe t-il un catalogue ou des documents pour les dater ? cdlt fred
comme d’habitude ,un excellent sujet traité avec pertinence.
j’ai appris beaucoup de choses intéressantes.
continue à écrire et à nous emporter dans ce monde horloger.
je suis fier de mon petit frére