John-Mikael Flaux : l’horlogerie mécanique sans tabou.

PORTRAIT.

JEUNES INDÉPENDANTS

 

Il souffle un nouvel esprit d’indépendance dans l’horlogerie mécanique. Issus des meilleures écoles d’horlogerie, courtisés par les plus grandes manufactures, ces jeunes diplômés sont épris de liberté et habités par une puissance créatrice dévorante. Loin d’être isolés dans leurs ateliers, ces horlogers tissent les liens d’une communauté où existe la pratique d’une entraide désintéressée. Ils répondent aussi, aux attentes d’une clientèle déçue par une industrialisation de la haute horlogerie. Cette « nouvelle vague » de créateurs, selon la belle expression de Pierre Maillard dans les colonnes d’Europa Star, se forge une identité forte, marchant dans les pas de leurs aînés George Daniels, Philippe Dufour, François-Paul Journe ou encore Kari Voutilainen, qu’ils vénèrent comme des légendes de la grande histoire de l’horlogerie. Nous avons rencontré l’un eux, John-Mikael Flaux, membre de la prestigieuse Académie des Horlogers Créateurs Indépendants (AHCI), parrain 2023 de la dernière année de la classe d’horlogerie DnMADE (Diplôme des métiers d’Arts et du Design) du Lycée Edgar Faure de Morteau et finaliste du Louis Vuitton Watch Prize for Independent Creatives.

 

Hubert de Haro / HDH Publising pour le magazine digital de l’horloger parisien Antoine de Macedo. Dec 2023.

 

Hubert de Haro : Comment définissez-vous votre profession ? John-Mikael Flaux : Je suis horloger créateur indépendant. Mon activité se porte sur la mécanique d’art que j’explore dans des formats différents de ceux de la tradition horlogère. Mes pièces s’exposent sur des bureaux et sont souvent des automates. Il n’y a pas nécessairement d’indication horaire ou de complication horlogère.

 

Comment êtes-vous arrivés à l’horlogerie ? Il n’y a pas d’horloger dans ma famille. En revanche, dès mon enfance, j’ai toujours cherché à comprendre comment fonctionnaient des objets mécaniques. Un appareil photo qui tombait en panne, faisait mon bonheur.  J’ai découvert l’horlogerie dans un musée à Fougères, en Bretagne.  J’ai été fasciné par ces petits objets qui fonctionnaient en toute autonomie, sans électricité, c’est pourquoi j’ai intégré plus tard le Lycée Jean Jaurès de Rennes (NDLR : un des cinq Lycées français au cursus horloger, avec Morteau, Paris, Marseille/Nice, Bordeaux) qui existe depuis 1948.

 

Ce goût pour la mécanique aurait pu vous amener vers d’autres mondes, comme celui de l’automobile par exemple ? L’horlogerie est pour moi, la mère de toutes les mécaniques. Ce savoir artisanal a atteint son apogée au XVIIIe siècle pour s’industrialiser par la suite. La mécanique est à la base des machines à vapeur. Et puis, on peut fabriquer un objet mécanique soi-même, dans un atelier modeste, ou même dans une chambre. Pas besoin de 400 m2 dans une zone industrielle !

L’horlogerie est pour moi, la mère de toutes les mécaniques.

Enfant, j’adorais d’ailleurs les LEGO et les robots. Mais ce sont les automates mécaniques qui m’ont le plus marqué pour leur aspect poétique… et inutile ! Petit, j’ai découvert le poète ferrailleur de Lizio en Bretagne. Il récupérait la ferraille, comme Jean Tinguely (1925-1991), qu’il soudait et peignait pour les transformer en automates. Cela m’a profondément touché au point de décider de faire de la mécanique mon métier.

 

Après Rennes, vous avez suivi la section métier d’art du Lycée Edgar Faure de Morteau, ce qui vous amènera à décrocher le très convoité DMA, Diplôme des métiers d’art, aujourd’hui DnMADE. Quelle expérience retirez-vous de ce lycée, considéré par certains comme la « pépinière de la nouvelle vague horlogère » ? J’ai eu une excellente expérience à Morteau. Tout d’abord, les échanges sont nombreux avec les manufactures horlogères suisses voisines où travaillent bon nombre d’anciens élèves. Par ailleurs, le corps enseignant gère très bien les élèves et l’un d’eux, Thierry Ducret, est lui-même meilleur ouvrier de France. De plus, le parc de machines est à disposition des élèves, ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres lycées horlogers. Tout cela explique le niveau exceptionnel de certains élèves, à la fin de leur cursus.

 

Quels liens maintenez-vous avec les anciens et actuels élèves ? Des liens forts. Il s’agit d’une vraie communauté. On se croise souvent lors d’événements ou même à l’occasion de soirées horlogères à Morteau. Je garde par l’exemple des liens excellents avec Julien Tixier, diplômé quelques années après moi. Je connais certains jeunes étudiants qui possèdent un tour horloger juste à côté de leur lit ! Du matin au soir, en semaine ou le week-end, ils travaillent sur des projets personnels. C’est l’obsession mécanique !

 Je connais certains jeunes étudiants qui possèdent un tour horloger juste à côté de leur lit ! Du matin au soir, en semaine ou le week-end, ils travaillent sur des projets personnels. C’est l’obsession mécanique !

Conservez-vous des liens avec le Lycée Edgar Faure ? Cette année 2023, j'ai été le parrain de la dernière année de la classe d’horlogerie DnMADE. J'ai soutenu financièrement les onze élèves dans leur démarche. J’ai apporté des conseils techniques, esthétiques ou philosophiques. Pour la première fois depuis la sortie de la première promotion en 1998, les élèves devaient créer une animation visuelle de quelques secondes, une sorte d’automate, en plus de l’indication horaire. Laissez-moi vous dire que les projets sont très beaux et originaux.

John-Mikael Flaux, entouré des étudiants de dernière année de la classe d’horlogerie DnMADE du Lycée Edgar Faure.

 

 

À votre sortie du Lycée, vous avez intégré la marque suisse Ulysse Nardin.

J’ai commencé comme simple horloger en 2012. Mais la création me démangeait. Si je ne crée pas, la vie m’est insupportable. Dans mon atelier, après le travail, j’ai commencé à développer en 2013 un automate en forme de guêpe. La direction de la marque en a entendu parler et m’a proposé de changer de poste pour développer de nouveaux produits. Cela a débouché sur une pièce unique : la Super-Catamaran. J’en ai géré la conception et la fabrication. De 2015 à 2017, j’ai travaillé sur des prototypes à temps plein.

 

Cette expérience chez Ulysse Nardin vous a-t-elle donné l’idée de vous lancer ? Depuis toujours, j’ai voulu être indépendant et être libre de concevoir sans contraintes. C’est pourquoi j’ai démissionné de mon poste.

 

Pourquoi avoir choisi Besançon ? Mon parcours d’étudiant à Morteau, puis en tant qu’employé Ulysse Nardin m’a fait comprendre que je ne pouvais pas retourner en Bretagne. Mon ami Cyril (NDLR : Brivet-Naudot) a fait ce choix parce qu’il ne produit qu’une montre par an, ce qui n’est pas mon cas. Besançon est aussi une magnifique ville. Sa riche histoire horlogère et la proximité géographique avec la Suisse en ont fait la capitale française de l’horlogerie.

 

Revenons sur ce que vous qualifiez d’esprit d’indépendance. Quels en sont les avantages ? Je suis un électron libre. La création est au centre de ma démarche. Il m’est très difficile de développer de nouveaux objets mécaniques sans une totale liberté. Dans notre société actuelle, cela fait très peur. Tout ce que je peux gagner est immédiatement réinvesti dans des outils ou bien dans un nouveau développement. Les dépenses sont donc miennes et non pas celles de mon employeur. En tant qu’indépendants, nous sommes plus enclins à prendre des risques. En revanche, lorsque j’ai décidé de me lancer, j’ai appris à gérer aussi les rapports avec les clients, ce qui a représenté un grand saut pour moi.

 

Vous êtes membre de l’AHCI depuis 2021. Quels en sont les apports ? Très nombreux. J’ai connu l’AHCI avant même d’y être admis. En 2010, encore apprenti à l’école d’horlogerie de Rennes, nous nous sommes rendus en bus au salon horloger BaselWorld. Après un tour dans les couloirs principaux, je me suis retrouvé par hasard devant les vitrines de l’AHCI. Quel choc ! Je pouvais échanger librement avec les horlogers en personne. Par la suite, j’ai renouvelé l’expérience chaque année jusqu’en 2018. Cette année-là, avec mon ami Cyril, nous avons exposé au Luxembourg. Le co-fondateur de l’AHCI, Vincent Calabrase, nous avait remarqué et nous avait alors proposé de devenir notre parrain, ponctuant son invitation par : «il faut venir, nous avons besoin de sang frais ! ». Vincent est devenu le parrain de Cyril et Miki Eleta, avec qui j’ai beaucoup d’affinités, le mien. Ma première exposition avec l’Académie a eu lieu à Bâle en 2019 puis d’autres ont suivi, à Genève notamment.  Parmi les premiers membres de l’Académie, certains sont devenus des légendes de l’horlogerie comme George Daniels, Philippe Dufour, Kari Voutilainen ou François-Paul Journe. Les jeunes horlogers doivent remercier ces pionniers. Nous recueillons tous, aujourd’hui, les fruits de leur travail.

 

Cette année, vous présentiez vos créations lors du salon de l’Académie, entre Vianney Halter et Cyril Brivet-Naudot. Vianney Halter m’inspire beaucoup. Il possède une voix atypique, belle et poétique. Il m’aide beaucoup. Je dois citer aussi Raul Pagès, connu pour son automate « tortue » et David Candaux qui réalise un travail colossal à l’Académie.

 

Depuis le Covid, les collectionneurs semblent plus attirés par le travail des indépendants, aussi petits soient-ils. Le confirmez-vous et quel type d’échanges avez-vous avec eux ? Effectivement, même s’il ne s’agit pas d’une mode, à mon avis. A partir des années 2010, les grandes marques ont commencé à industrialiser des processus et des méthodes de production qui étaient encore jusqu’alors, assez artisanaux. Il y a aujourd’hui de moins en moins d’horlogers et de plus en plus d’opérateurs. L’ensemble est logique s’il s’agit de montres populaires, mais pas quand on se réfère au haut de gamme dont des prix, de surcroit, n’ont eu de cesse d’augmenter. Les clients finaux ne sont pas dupes. Lors de visites de Manufactures, ils peuvent se rendre compte de l’absence d’horloger. Jean Arnault lui-même (NDLR : le dernier enfant de Bernard Arnault, CEO du groupe LVMH, est impliqué dans la gestion des montres Louis Vuitton ainsi que dans le nouveau projet pour les marques Daniel Roth et Gérald Genta) l’affirme dans un récent interview (NDLR : disponible sur le site Revolution).

 

Vos clients viennent vous voir à Besançon ? Ma clientèle vient du monde entier, des Etats-Unis par exemple, d’Inde ou du Pakistan. Mes contacts les plus fréquents sont de Suisse et du Moyen-Orient.

 

En résumé, quels sont les objets mécaniques que vous avez réalisés à ce jour ? En 2013, j’ai réalisé mon premier automate la « guêpe », puis en 2016 le bateau horloge Super-Catamaran chez Ulysse-Nardin. Quand je suis devenu indépendant en 2018, j’ai commencé par lancé deux séries de voitures horloges automates limitées à dix exemplaires chacune : tout d’abord la « Car Clock » inspirer de la Bugatti T35 qui s’est vendue très vite puis la « Time Fury P18 ».

 

 

J’ai également conçu 3 automates sans indication horaire : un premier que je conserve, « le duel », et deux chevaux cabrés. Cette année je travaille sur 3 abeilles que j’ai présentées au salon de l’Académie, ainsi que sur une série de 10 montres « Homage to Al-Jazari », en hommage au génie mécanique du XIIe siècle du même nom. Avec un ami, nous avons retrouvé l’histoire de cet inventeur et de sa formidable clepsydre que j’ai reproduite en montre bracelet.

 

En quoi pensez-vous que vos créations mécaniques se distinguent des autres ? Mon travail est atypique car je fais dialoguer mon savoir-faire horloger avec des thèmes totalement extérieurs à mon univers. Ma dernière création – « l’Abeille » – en est l’illustration. Je m’amuse parfois à transformer un élément esthétique en fonction, à l’image du dard de l’abeille qui est en fait l’index des heures, ou encore du pot d’échappement de la « Time Fury P18 » qui sert de remontoir.

 

Mécaniquement, utilisez-vous toujours le même calibre ? Et si oui, quels en sont les principales caractéristiques (réserve de marche, type d’échappement, balancier utilisé, finitions…) ? Je n’utilise jamais le même calibre car à chaque nouvelle création je pars d’une feuille blanche ! Je n’ai pratiquement aucun standard dans mes composants, juste quelque bonnes recettes que j’applique dans mes nouveaux développements. On peut tout de même citer quelques caractéristiques qui reviennent dans mes gardes temps : réserve de marche de 8 à 10 jours, échappement à ancre suisse, balancier à vis en 18.000 alt/heure, régulateur à force centrifuge avec vis sans fin pour les automates. En ce concerne les finitions je recherche un juste équilibre entre le poli et le mat, l’anglage et le satiné, le perlage et le charbonnage.

 

Utilisez-vous des bains d’électrolyse pour durcir vos pièces mécaniques ou les décorer ? J’utilise beaucoup de laiton doré ou de palladium dans mes créations, mais aussi de l’acier trempé traditionnel pour les axes et les pignons qui peuvent être bleuis sans avoir besoin de les recouvrir. Enfin l’acier inoxydable pour les éléments décoratifs.

 

Avez-vous eu recours à d’autres artisans spécialisés dans les métiers d’art (émaillage, gravure) notamment sur votre dernière création “Homage to Al-Jazari”? Oui bien sûr ! Dans la montre « hommage to Al-Jazari », interviennent la peinture miniature, la gravure à la main, la laque cloisonnée et même la bijouterie pour les dragons en argent.

 

Préférez-vous les automates aux montres ? Mon travail est d’utiliser les codes mécaniques de l’horlogerie sans me limiter aux formats. Je veux développer un univers « nouveau » comme celui de l’automate « abeille » qui indique l’heure en tournant sur son socle. C’est à la fois une horloge de table et un automate avec un mécanisme de la taille d’une montre. Je ne veux pas m’enfermer dans un modèle prédéfini, c’est la créativité qui décide.

 

Comment vous projetez-vous dans le futur ? Voulez-vous engager d’autres horlogers ? Je ne veux certainement pas m’engager sur des productions, ni sur un catalogue. Je le pourrais et cela serait peut-être même plus rentable, mais je deviendrais patron d’une société. Mon atelier est un laboratoire d’idées, de conception et de production artisanale de séries de 3 à un maximum de 10 pièces. C’est exactement cet univers éclectique qui me stimule.

 

Pourriez-vous nous décrire votre atelier ? 80 m2 (rires). J’ai une énorme planche à dessin de 1,5 mètre sur 1 mètre. Plusieurs ordinateurs et une imprimante 3D, ainsi que plusieurs établis d’horloger avec tous les outils indispensables. Je possède aussi deux tours, une fraiseuse (Aciera F12) et deux commandes numériques artisanales que des amis ont fabriquées ! Une affuteuse spinner, un tour numérique bien particulier conçu par un ingénieur à ses temps libres. Enfin, j’utilise aussi une vieille machine automatique à tailler les engrenages qui date de… 1925 ! J’ai aussi une perceuse sensitive et une rouleuse à pivots des années 1950. J’utilise beaucoup du vieux matériel que je remets en état de fonctionnement. Pour les finitions j’ai une polisseuse et une micro-sableuse. Le reste je le fait à la main, de façon traditionnelle.

 

 

Biographie :

Né le 12 novembre 1990 à Rennes. Il obtient un CAP et un Brevet des métiers d’art à Rennes (4 ans) pour poursuivre à Morteau en vue du Diplôme des métiers d’art (2 ans). Il y reste 7 ans de plus, dont 5 comme employé chez la voisine marque suisse Ulysse Nardin. Il se lance à Morteau, puis s’installe à Besançon où il possède aujourd’hui, son atelier.

 

Ecrire un commentaire

Tous les commentaires sont modérés avant d'être publiés