Qu’attendre de l’année horlogère 2024 ?
À chaque début d’année, les Nostradamus sortent du bois. Leurs prédictions souvent incongrues, parfois amusantes, ont le mérite de nous mettre en pause et de nous projeter dans un avenir possible. Exercice auquel nous nous sommes livrés, sans jeu de tarot en main, avec l’avantage de savoir que ces prévisions seront bien vite reléguées aux oubliettes… Et si …
Hubert de Haro / HDH Publishing pour le magazine digital de l’horloger parisien Antoine de Macedo. Janvier 2024.
Avec deux tiers du marché mondial des ventes de montres (en valeur), l’horlogerie suisse domine très largement le secteur. Le suivi des données statistiques émises par la Fédération de l’industrie Horlogère Suisse (FHS) est donc un passage obligé pour tout analyste du secteur.
Comment s’annonce ce début d’année ?
Les derniers chiffres disponibles sont éloquents : de janvier à fin novembre 2023, les horlogers suisses ont exporté pour 24 milliards de francs suisses de montres et de mouvements, soit une croissance de 7 % sur un an, laissant présager 2023 comme une année record. Mieux encore : l’industrie horlogère suisse emploie aujourd’hui quelque 65 000 employés, soit l’effectif le plus élevé depuis les années 1970, décennie horribilis marquée par deux chocs petroliers et l’engouement pour une nouvelle technolgie développée au Japon : le quartz.
Statistiques de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FHS) de janvier à novembre 2023
Alors, « tout va très bien Madame la Marquise » ?
Jean-Daniel Pasche, président de la FHS nuance et appelle à la « prudence » que lui inspirent les « reports de commandes chez certains sous-traitants. »
Pas de quoi paniquer cependant. La banque Vontobel, référence en matière d’analyse du secteur, s’attend à une « normalisation de la croissance en 2024, avec une hausse de la valeur des exportations qui devrait se situer dans une fourchette de 2 à 4 %. »
Cette normalisation est très bien accueillie par de nombreux acteurs de l’industrie comme notamment le créatif Max Büsser, fondateur de la marque MB & Friends : « Les artisans et les fournisseurs seront en mesure d'améliorer leur flux et leur qualité - le stress et la pression insensés des marques sont toujours contre-productifs pour tout le monde. »
La banque Vontobel s’attend à une « normalisation de la croissance en 2024, avec une hausse de la valeur des exportations qui devrait se situer dans une fourchette de 2 à 4 %. »
Et si… ?
Et si… la troisième collection Bioceramic du groupe Swatch était une montre Breguet type XX?
Avec des ventes de l’ordre des deux millions d'unités en deux ans, la collection Bioceramic MoonSwatch, fruit de la collaboration entre les marques Omega et Swatch, a dépassé toutes les attentes, donnant une forte impulsion à une production annuelle suisse en perte de vitesse. Les exportations de montres suisses dont le prix ne dépasse pas les 200 francs suisses, soit un minimum de 600 euros au prix public, ont en effet chuté en vingt ans, de 22 à 9 millions d’unités. Une tendance vertigineuse, aux conséquences industrielles catastrophiques, souvent imputée à l’émergence des montres connectées ainsi qu’à un certain désamour des plus jeunes pour la Swatch.
Trois modèles de la collaboration entre les marques Omega et Swatch, la collection Bioceramic MoonSwatch. Les ventes de cette collection auraient dépassé les deux millions d’unités.
Un élément clé du succès de la Moonswatch tient à sa capacité de répondre à une demande universelle pour une montre d’entrée de gamme. Elle a démocratisé l'accès à l'horlogerie suisse de qualité, a offert un compromis entre l'esthétique sophistiquée et le prix d’achat et a enfin, instillé une nouvelle énergie au binôme Omega-Swatch. Cette démarche inclusive a élargi la base des consommateurs et s’est peu à peu imposée comme une alternative crédible aux montres connectées.
L'héritage de la « Moonswatch » s’est perpétué en 2023 à travers la collection Bioceramic cuba Fifty Fathoms, issue d’une nouvelle association, cette fois-ci, entre les marques Blancpain et Swatch.
Contre toute attente, le succès commercial des deux collections a également bénéficié aux ventes d’autres modèles des marques Omega et Blancpain. Un effet collatéral inattendu qui peut, dans une moindre mesure, s’expliquer par le choix d’un matériau écoresponsable pour les boîtiers : la « biocéramique ».
Dans ce contexte, le groupe Swatch pourrait imaginer un troisième volet en 2024 avec l’historique Breguet Type XX. Ce choix donnerait sans aucun doute, un coût de jeune à une marque centenaire qui en a grandement besoin. Qui ne souhaiterait pas porter au poignet LA montre d’aviation par excellence, réinterprétée dans des codes respectueux de l’environnement ?
Deux splendides exemples de Breguet Type 20 originaux des années 50, proposés par la maison Christie's. À gauche, boîte nº 4029 gravée "Breguet Marine Nationale, 402 Aeronautique-Navale" (vente du 13 mai 2013 "Live Auction 1395 Important Watches", lot 293), acquise pour la somme de 16 250 CHF. À droite, Breguet Type 20, ref. 5101/54, boîte no7590 manufacturée en 1954 (vente du 12 novembre 2012" Live Auction 1391 Important Watches, including A Gentleman's Pursuit for Excellence, Part I", lot 256), acquise pour le somme de 13 750 CHF. © Christie's et Christie's.
Le groupe Swatch pourrait imaginer une collaboration entre Breguet et Swatch: la bioceramic Breguet Type XX
Et si …François-Henri Benhamias lançait la marque FHB ?
Après une décennie à la tête d'Audemars Piguet, François-Henri Benhamias (FHB) pourrait envisager de lancer sa propre marque horlogère. Fort d'une incontestable notoriété forgée au succès commercial et financier exceptionnel chez Audemars Piguet, il possède également une connaissance intime des réseaux d'investisseurs, notamment de célébrités sportives et du showbiz américain.
“Master Yoda”, une des mascottes préférées de François-Henri Benhamias. @Fred Merz/Lundi13 pour Le Temps.
Après une décennie à la tête d'Audemars Piguet, François-Henri Benhamias pourrait envisager de lancer sa propre marque.
Ses trente ans d'expérience au sein d’Audemars Piguet lui ont permis de maîtriser à la perfection les rouages de la sous-traitance horlogère, avec en premier lieu, l’incontournable entreprise Renaud et Papi. Inspiré par le parcours fulgurant de Richard Mille, et à l'instar de Jean-Claude Biver, FHB doit ressentir l'adrénaline pour ne pas dire la dépendance au succès. En tout bon sportif de haute compétition qu’il a été, la tentation de rester sur les plus hautes marches du podium pourrait lui dicter ses prochains choix.
Il ne serait pas étonnant d’ailleurs, de voir Audemars Piguet au premier rang des investisseurs.
Et si… le groupe Louis Vuitton (LVMH) lançait une collection « LVMH & Friends » ?
L'engagement personnel de Jean Arnault, Directeur de la division Horlogerie de Louis Vuitton, dans l'innovation artisanale et dans les liens qu’il a su tisser avec certains d’entre eux, sont à l’origine du "Louis Vuitton Watch Prize for Independent Creatives". Le prix signale une reconnaissance sans précédent, de ces esprits libres et audacieux, de la part du premier groupe mondial du luxe, et ne se limite pas uniquement aux montres. Parmi les cinq propositions choisies, les horlogers Andreas Strehler et John-Mikael Flaux proposent en effet, deux objets mécaniques fascinants, à poser sur une table de bureau par exemple.
Parmi les cinq finalistes du "Louis Vuitton Watch Prize for Independent Creatives", trois montres et deux « objets mécaniques » sont présentés par Andreas Strehler et John-Mikael Flaux.
Cette dynamique pour le moins inattendue s’est concrétisée pour la première fois à l'automne 2023, avec le lancement de la « Louis Vuitton x Akrivia LVRR-01 Chronographe à Sonnerie », fruit de la collaboration avec le talentueux horloger Rexhep Rexhepi, fondateur d'Akrivia en 2012. C’est une première dans l'histoire du groupe LVMH, qui partage désormais son logo sur le cadran d'une montre. L’union prometteuse entre le prestige du groupe LVMH et l'authenticité des créateurs indépendants, fait écho au travail inlassable du créatif et entrepreneur Max Büsser, fondateur de la marque MB & Friends.
Une nouvelle collaboration entre LVMH Montres et certains créateurs horlogers indépendants est donc, plus que plausible en 2024.
Et si … Rolex se lançait dans la diversification ?
Soyons clair : cette prédiction est de très, très loin la plus hasardeuse.
Rolex a su créer la surprise en 2023 avec notamment, le lancement de l’Oyster Perpetual "Bubbles", et le rachat de la chaîne de détaillants Bucherer. En perspective, une nouvelle manufacture sise à Bulle, prévue pour 2029. Investissement massif d'un milliard de francs suisses, elle promet d'accroître considérablement les capacités de production, et d’anticiper une réponse aux attentes du marché.
Jörg Bucherer (1936-2023) et Jean-Frédéric Dufour (directeur général Rolex). © Symptom.
De par son universalité, Rolex pourrait explorer de nouveaux territoires, dans le milieu de la joaillerie, de la maroquinerie ou même des montres connectées par exemple, soutenue par l'excellence de son réseau de distribution mondial ou une alliance stratégique avec l’un des grands acteurs du secteur. De telles initiatives audacieuses souligneraient la capacité de Rolex à évoluer tout en préservant l'héritage d'excellence qui a fait de la marque, une référence indétrônable dans le monde de l'horlogerie de luxe.
De par son universalité, Rolex pourrait explorer de nouveaux territoires, dans le milieu de la joaillerie, de la maroquinerie ou même des montres connectée.
Et si… les détaillants indépendants étaient à nouveau courtisés ?
La faillite du géant de la vente en ligne Farfetch a pris de cours le public, mais encore ses anciens partenaires financiers – dont le groupe Richemont. Ceux qui prédisaient le tout internet ont été contraints de revoir leur copie : collectionneurs et amateurs de montres continuent à acheter chez leur horloger habituel. Or, ce « retour en grâce » des détaillants indépendants pourrait même être renforcé par un certain malaise actuel, dans les ventes aux enchères. Les suspicions autour de l’organisation « Only Watch » ou encore la vente farfelue d’une Speedmaster « bricolée » pour plus de trois millions d’euros par Philipps, étaient il y a peu encore, inimaginables. Ces événements devraient concourir à consolider les boutiques des détaillants comme un lieu indispensable aux échanges, aux contacts physiques avec les montres et au partage. Dès lors, et en toute logique, les marques horlogères seraient à nouveau prêtes à faire les yeux doux aux plus performants.
2023 : quelques modèles remarquables choisis par l’équipe Antoine de Macedo. © Instagram ADM.
Notes finales :
Leader incontesté avec plus d’un tiers du marché horloger mondial, la marque genevoise Rolex ne semble pas ralentir le rythme de son expansion. Jamais dans l’histoire horlogère une marque aura autant dominé le secteur, comme l’affirme en prévision pour 2024 Jean Arnault : « Rolex déterminera si nous assisterons à une correction à grande échelle ou à un "atterrissage en douceur". En tant qu'acteur dominant parmi les détaillants, elle sera le facteur décisif pour 2024. »
À lire :
COGNIAT Valère, Ilaria Resta: «Je vois encore une solide croissance pour Audemars Piguet. », Journal Le Temps (29 décembre 2023).
DE HARO (Hubert), « Surprenantes ou attendues, ces annonces Rolex qui agitent l’industrie horlogère. », Magazine digital Antoine de Macedo (novembre 2023).
DE HARO (Hubert), « Nouveauté : le duo de Breguet Type 20 et XX crée la surprise. », Magazine digital Antoine de Macedo (juillet 2023).
JX Su, « Looking Forward – Watchmaking Insiders’ Predictions for 2024. », SJX (29 décembre 2023).
NOGUERO (Fanny), « Affaire de l'Omega « Frankenstein » : seules les marques peuvent certifier leurs montres. » Journal Le Temps (8 juin 2023).