Un Ferrier peut en cacher un autre, reportage.

Texte et mise en page:

Hubert de Haro / HdH Publishing, novembre 2022.

 

Les montres Laurent Ferrier partagent une esthétique minimaliste et discrète qui leur confère une aura singulière dans le paysage horloger. Un charme discret très Genevois, qui évoque l’Invitation au Voyage de Charles Baudelaire :

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

   Luxe, calme et volupté. »

 

En douze ans à peine, la marque revêt déjà l’assurance des grands.

Il faut dire que ses débuts ont été placés sous les meilleurs auspices. En 2010, le Grand Prix de l’Horlogerie de Genève décernait en effet, à la montre « Galet Classic Tourbillon Double Spiral » le prix très convoité de la meilleure montre masculine. Une reconnaissance l'année même de son lancement par certains de ses pairs, notamment l’horloger de la Vallée de Joux Philippe Dufour, ainsi que d’un large public de connaisseurs. Qu’en est-il aujourd’hui, douze ans plus tard ? Comment l’horloger indépendant Laurent Ferrier envisage-t-il le futur ?

 

En moins d’une décennie, les montres Laurent Ferrier reçoivent trois Grand Prix de l’Horlogerie. De gauche à droite : « Classic Tourbillon Ivoire Émail Grand Feu » (2010), « Square Micro-Rotor Blue » (2015) et « École Calendrier Annuel Gris » (2018). © site www.Laurent Ferrier

 

« Sans lui, je ne l’aurais pas fait. »

C’est à Genève, sur la route de Saint-Julien, que se trouvent les ateliers de la marque Laurent Ferrier. Dans une belle demeure classique sont conçues, assemblées et terminées à la main près de 400 montres par an.

Atelier Laurent Ferrier, Genève, © site www.Laurent Ferrier

Une petite trentaine d’employés, des horlogers essentiellement et des décorateurs spécialisés s’affairent dans une ambiance familiale et sereine.

« Tout s’est passé très vite. Lorsque mon ami François Servanin m’a défié à lancer notre société en 2009, j’étais à trois ans de la retraite. Mon fils était constructeur mouvement chez Roger Dubuis, ce qui a été déterminant. Sans lui, je ne l'aurais pas fait ».

De gauche à droite : François Servanin, co-fondateur, président et actionnaire majoritaire des montres Laurent Ferrier. Laurent Ferrier, co-fondateur et directeur créatif. Christian Ferrier, directeur produit. © site www.Laurent Ferrier.

 

Parmi eux, Laurent Ferrier et son fils Christian. « Sans lui, je ne l’aurais pas fait » affirme d’emblée Laurent Ferrier. Et de rappeler l’importance de son fils dans la genèse de la marque éponyme : « Tout s’est passé très vite. Lorsque mon ami (de longue date) François Servanin m’a défié à lancer notre société en 2009, j’étais à trois ans de la retraite. Mon fils était constructeur mouvement chez Roger Dubuis, ce qui a été déterminant. Ma première pièce (NDLR. La Classic Tourbillon double spiral) correspond exactement à ce que j’avais en tête. Il faut dire aussi que François m’a laissé totalement libre ». Une décennie s’est écoulée.

« Les indépendants produisent peu de pièces. Hors pour être compétitifs, certains voudront raboter sur un coût ou un autre et donc inévitablement, la qualité générale s’en ressent. Pas chez nous ».

François Servanin – président et actionnaire majoritaire – gère aujourd’hui la société tandis que Laurent Ferrier et son fils Christian sont en charge du pôle création, et ce sans intervenants extérieurs. Une liberté d’action qui a permis de nombreuses innovations techniques, à savoir du double spiral opposé Straumann à la réinterprétation de l’échappement naturel. Toutefois, Laurent Ferrier aime à rappeler que les roses cachent aussi leurs épines : « Les indépendants produisent peu de pièces. Or pour être compétitif, certains voudront raboter sur un coût ou un autre et donc inévitablement, la qualité générale s’en ressent. Pas chez nous. Regardez notre boîte Classic. Seuls des polisseurs très expérimentés réussissent à respecter les lignes d’une pièce qui paraît, au premier abord, simple ». 

 

Les montres Laurent Ferrier se distinguent par des finitions d’excellence, Ici, le calibre micro-rotor arbore des finitions côtes de Genève sur les deux ponts de rouage, du perlage sur la platine et de merveilleux anglages rentrants. Le pont du micro-rotor, à deux appuis, impressionne également par ses polis miroirs.

 

 

Le chant des sirènes à « quatre roues ».

Et pourtant, le créateur de la marque a longtemps oscillé entre l’horlogerie et la course automobile. C’est d’ailleurs un point commun qu’il partage avec l’inventeur du co-axial George Daniels, lui-même coureur automobile, collectionneur et … mécanicien à ses heures libres.

Laurent Ferrier a longtemps oscillé entre l’horlogerie et la course automobile. C’est d’ailleurs un point commun qu’il partage avec l’inventeur du co-axial George Daniels, lui-même coureur automobile, collectionneur et … mécanicien à ses heures libres.

Modeste, Laurent Ferrier se défend de la comparaison : « Je suis certainement moins bon horloger. Je n’ai pas eu une longue carrière d’horloger à l’établi. Chez Patek Philippe, j’ai travaillé quelques années d’abord dans un bureau de prototypes puis dans différents ateliers. J’ai quitté la société pour me consacrer à la course automobile. Mais je suis finalement revenu chez Patek Philippe qui venait d’ouvrir un des premiers bureaux techniques consacrés à l’étude des boîtes, cadrans, aiguilles, index. J’ai passé pratiquement toute ma carrière professionnelle à travailler l’esthétique de la montre ».

 François Servanin et Laurent Ferrier termineront troisième dans leur Porsche 935 T, aux 24 du Mans de 1979, juste derrière un certain Paul Newman. © Laurent Ferrier

 

Toutefois, le cœur de l’horloger continue à battre pour le monde automobile. Preuve en est cette photographie prise au Mans en 1979. On y voit un Laurent Ferrier radieux, au côté de son collègue d’équipe et ami François Servanin, célébrant leur troisième place, juste derrière un certain Paul Newman.

« Lorsque j’étais jeune, j’avais comme objectif de devenir pilote. Quelque chose d’irréalisable, comme créer une société horlogère (rires) ».

 

L’horloger porte un regard lucide et décomplexé sur sa passion d’hier et d’aujourd’hui : « Lorsque j’étais jeune, j’avais comme objectif de devenir pilote. Quelque chose d’irréalisable, comme créer une société horlogère (rires). Mon père était horloger indépendant. Il a eu le malheur d’avoir la maladie de Parkinson jeune lorsque j’étais encore à l’École d’Horlogerie. Je n’ai donc pas pu travailler avec lui, mais j’imagine que cela courait dans les veines. Cependant, j’aurais aimé faire de la course automobile. Pour réussir, il faut de grands moyens, à moins d’avoir un papa relativement aisé comme cela est le cas pour le double champion de Formule 1 Max Verstappen ».

 

Sans concession aucune

Des décennies de pratique chez Patek Philippe ont ouvert la voie à une vision très précise de la collection Laurent Ferrier : des codes stylistiques propres (boîtes, cadrans et aiguilles), des finitions irréprochables et un ensemble exceptionnel de calibres très innovants.

Bassinage traditionnel des flancs, à la main, employant des bois de gentiane. Atelier des montres Laurent Ferrier, Genève. © Hubert de Haro / HDH Publishing (polissage) et Montres Laurent Ferrier (vue du micro-rotor).

 

Prenez par exemple le modèle Classic Micro-Rotor, un incontournable dans la collection actuelle. Son mouvement micro-rotor à échappement naturel conjugue un nombre impressionnant de finitions : ponts décorés en côtes de Genève, perlage de la platine, têtes de vis polies à la main, bras de roues biseautés ou encore, anglage rentrant fini main, « l’Everest » du polissage ». Les aiguilles en forme de sagaies et les index allongés de forme goutte ne sont pas sans évoquer les morphologies longilignes des sculptures du Suisse Alberto Giacometti (1901-1966). De l’ensemble se dégage une harmonie qui se veut rassurante, un hommage en quelques sorte, à l’élégance séculaire de l’horlogerie fine de grande tradition.

Vidéo de la montre Square Micro‑Rotor Blue (référence LCF013.AC.CG2 et son échappement naturel à double impulsion. © site www.Laurent Ferrier et Instagram #antoine-de-macedo (vue de gauche en bas)

 

Le tandem Laurent et Christian impose au gré des années une signature tout à fait singulière, héritière des montres de poche du XIXe siècle de la Vallée de Joux. Alors en quoi se distingue une montre Laurent Ferrier ? Le créateur n’hésite pas dans sa réponse : « Il faut prendre le temps de bien faire. Dans cent ans, lorsqu’un horloger regardera un de nos pièces, il pourra reconnaître la qualité de travail ».

 
Atelier Laurent Ferrier, Genève. Polissage traditionnel, au moyen d’un bois de gentiane. © Hubert de Haro / HDH Publishing

 

Le succès commercial semble au rendez-vous, à tel point que la marque envisage d’atteindre les 400 pièces produites par an. Un chiffre dérisoire compte tenu de sa notoriété planétaire et de l’engouement du moment, pour les marques indépendantes. « D’un côté nous en profitons. Il nous suffit de montrer un de nos nouveau modèles sur internet pour que la production soit vendue en quelques jours », affirme Laurent Ferrier. Une situation jugée « anormale » par l’horloger, même s’il « se passe la même chose dans l’automobile. Regardez le dernier concours d’élégance de Chantilly, les voitures étaient toutes plus exceptionnelles les unes que les autres  ».

 

Une transmission sereine

Et pourtant, c’est absolument sans regret que Laurent Ferrier analyse le chemin parcouru et envisage l’avenir. « Même si vous avez une magnifique place dans une société, vous êtes toujours dépendant de ses dirigeants, ce qui est tout à fait normal. Même si mon fils et moi sommes loin d’être les actionnaires majoritaires, l’idée est que Christian puisse rester encore un petit moment et avoir du plaisir à continuer à faire ce qu’on a réalisé ensemble depuis plus de dix ans ».

« Même si mon fils et moi sommes loin d’être les actionnaires majoritaires, l’idée est que Christian puisse rester encore un petit moment et avoir du plaisir à continuer à faire ce qu’on a réalisé ensemble depuis plus de dix ans ».

 

L’autonomie industrielle et la verticalisation de la production ne sont pas à l’agenda du jour. L’actuelle collection s’est en effet consolidée à la faveur des excellentes relations entretenues avec les constructeurs de mouvements Michel Navas et Enrico Barbasini, de la Fabrique du Temps. Les deux premiers mouvements des montres Laurent Ferrier (Tourbillon double spiral et Micro-Rotor à échappement naturel) ont d’ailleurs été réalisés en collaboration avec cette société, avant même leur rachat par le groupe Luis Vuition en 2011. Le génie du « Petit Poucet » Ferrier proviendrait même de ce pragmatisme : collaborer en externe lorsque la logique l’exige. Sans bien évidemment, ne jamais remettre en cause l’excellence irréprochable de la montre finie. Laissons donc le dernier mot à Laurent Ferrier : « Je pense qu’il y aura toujours de l’espace pour des indépendants comme nous, ou Philippe Dufour. Ceci étant dit, il se fait tellement de belles choses chez les indépendants, qu’il faut de la chance pour réussir ».

 

Dernier modèle Laurent Ferrier 2022 : la Sport Auto Blue - référence LCF040.T1.C1GC5 - et son micro-rotor en Platine 950 . © Laurent Ferrier.

 

Quelques questions, très largement inspirées de Marcel Proust :

Si vous étiez …

Une couleur ? Vert, comme la nature.

Un paysage ? Montagne et lac. Un paysage tranquille de contemplation.

Une œuvre d’art ? Un beau bouquet de violettes (rires).

Une voiture ? Une vieille Porsche 911. C’est toujours une voiture magnifique, discrète, avec beaucoup d’allure.

La qualité que vous préférez chez un homme ? L’honnêteté.

Votre principal trait de caractère ? La sincérité.

Votre principal défaut ? Une fois décidé, j’aime que l’on agisse vite, sans tergiverser.

Un don de la nature ? La musique. Quand j’avais quinze ans, je jouais de la guitare électrique dans un groupe. Je ne devais pas être doué mais cela aurait été sympa. Lorsque vous êtes coureur automobile et que vous n’arrivez pas à être champion, vous finissez garagiste. En revanche, lorsque je vois les papys Rolling Stone ou autres grands groupes, je me dis que cela aurait été aussi sympathique.

 

 

Ultimes réflexions, basées sur l'échange avec Christian Ferrier :

Production annuelle : 400 pièces.

Employés : 25 personnes, essentiellement réparties dans l’atelier de décoration et celui d’horlogerie. Un constructeur mouvement vient juste de rejoindre Christian Ferrier.

Sept calibres différents :

1-Tourbillon Double Spiral,

2-Micro-rotor Échappement Naturel,

3-Micro-Rotor Échappement Naturel et Dual Time (traveller),

4-Calendrier Annuel,

5-Bridge,

6-Origin,

7-Automatic (Sport Auto 4 Hertz),

Pour cette dernière collection Sport Auto, Christian Ferrier s’attarde à rappeler qu’au « départ, mon père ne voulait pas.Mais petit à petit, l’idée a germé et il m’a demandé de travailler sur quelques dessins ensemble. Au départ, de nombreux collectionneurs demandaient un bracelet métal pour notre ligne square qui arbore une lunette ronde sur une carrure coussin/carré. C’est alors que mon père a décidé d’inverser cette logique stylistique sur la Sport Auto : une lunette coussin sur une carrure ronde ».

 

Légende et crédits de la photographie de couverture:

Sculpture de Alberto Giacometti (1901-1966),  « Grande femme debout » exposée au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne © Hubert de Haro. Un clin d’oeil à l’élégance longiligne des index et des aiguilles de montres Laurent Ferrier. Montre Laurent Ferrier « Classic Micro‑Rotor Silver » référence LCF004.R5.GR1 et détail de la « Classic Origin White », référence LCF036.T1.G1G © site www.Laurent Ferrier

 

Bibliographie et sources:

A Collected Man, « From the Bench: Laurent Ferrier », 2017.

KOH Wei, « The Complete History of Laurent Ferrier », Revolution, 4 novembre 2020.

MAILLARD Pierre, « L’évidence horlogère », Europa Star, Première Vol.13, No 4, août 2011.

Horological Society of New York, « The Natural Escapement, by Laurent and Christian Ferrier », Utube, 2021.

 

 

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