Qu'attendre de l'année horlogère 2023?
Texte et mise en page :
Hubert de Haro / HDH Publishing, janvier 2023.
Nous assistons à un nouvel âge d’or des arts mécaniques. À la faveur des réseaux sociaux, la culture horlogère s’est étendue aux cinq continents. De « 7 à 77 ans », selon la belle expression d’Hergé, on commente, on critique et surtout on s’enthousiasme pour les belles mécaniques. L'année révolue a prouvé l’insolante vitalité économique de cette industrie qui produit 38 montres par seconde. Réflexions sur les tendances horlogères du moment, suivies d’une sélection de modèles intemporels choisis par l’atelier de l’horloger parisien Antoine De Macedo.
La consécration du marché secondaire
Les longs mois de confinement de 2020 et de 2021 auront, semble-t-il, aiguisé la curiosité d’un nouveau public pour le monde des objets mécaniques. La multiplication des comptes professionnels sur les réseaux sociaux, et une offre digitale de qualité ont permis au marché secondaire de terminer l’année 2022 sur des chiffres record. Selon le cabinet McKinsey, les montres « d’occasion », devraient ainsi représenter 50 % du marché horloger total à l’horizon de 2025. En d’autres termes, une montre commercialisée sur deux sera d’occasion. Cette véritable révolution démontre de façon inéquivoque, la bonne santé du marché, mais annonce aussi une vague de fond, celle d’un nouveau mode de consommation, comme le souligne Fabienne Lupo, instigatrice du salon Re-Luxury, et ancienne présidente du salon horloger Watches & Wonder :
« Les valeurs intrinsèques du luxe sont la qualité, la pérennité, la réparabilité et la transmission. Le luxe est donc une industrie circulaire par essence. » 1
Et de jeter un pavé dans la marre en affirmant qu’acheter neuf aurait perdu de son charme.
Comme pour confirmer cette tendance, la marque suisse Rolex - leader incontesté du marché horloger mondial, vient d’annoncer le lancement de son programme de certification (« Certified Pre-Owned ») qui consiste à garantir au propriétaire d’une montre Rolex son authenticité et son bon fonctionnement. Pour se faire, il suffit d’apporter sa montre à réviser dans un atelier agréé par la marque. Rolex reconnaît ainsi « la paternité » de toutes ses montres, qu’elles soient commercialisées sur le marché du neuf ou sur le marché secondaire. Cette décision provoque un véritable changement de paradigme : peu importe OÙ la montre Rolex est vendue – dans une boutique agréée, dans un atelier vintage ou même sur internet – mais plutôt SI cette même montre est accompagnée du sceau « Rolex Certified Pre-Owned ».
L’indépendance, mère de toutes les vertues ?
Les récentes ventes aux enchères ont très largement consacré les horlogers indépendants. Les valeurs atteintes par certaines montres Laurent Ferrier, François-Paul Journe, Kari Voutilainen ou Philippe Dufour ont d'abord suscité la surprise. Comme si tout à coup, les collectionneurs réalisaient une certaine urgence à aider les petits ateliers à survivre. Et pourtant, avec une production de quelques dizaines d’unités, voire de quelques centaines, ces horlogers jouent un rôle fondamental dans la transmission des savoir-faire ancestraux.
Or, ces ateliers d’horlogerie indépendants sont confrontés à un nœud gordien inextricable comme nous le rappelait l’anthropologue Hervé Munz :
Produire en interne requiert du savoir-faire, de l’ingéniosité mais aussi des outillages industriels - notamment des machines CNC ou Computer Numerical Control. Et ces investissements demeurent prohibitifs pour beaucoup. Toutefois, il est fort à parier que le succès actuel de certains indépendants facilite désormais l’accès aux capitaux pour d’autres jeunes ateliers, facteur essentiel comme nous le rappelle l’horloger François-Paul Journe.« Quelques irréductibles font savoir qu’ils sont capables de tout faire à la main. Or après enquête, ce n’est effectivement jamais le cas, essentiellement pour des raisons économiques, tout faire à la main, soit avec de l’outillage conventionnel revient trop cher. »2
Gravi cet « Everest » financier, les indépendants les plus aguerris se distinguent par habilité à terminer à la main la quasi-totalité des pièces constituant leurs calibres. Les « connoisseurs » d’ailleurs identifient inmanquablement un bel anglage fait main ou un pont de balancier poli-mirroir, comme nous le confirmait l’horloger Laurent Ferrier :« À mes débuts, n'étant pas verticalisé comme aujourd'hui dans ma production, je n'ai pas eu de difficultés à trouver de fournisseurs. Aujourd'hui, il me serait impossible d'avoir une pièce. »3
« Les indépendants produisent peu de pièces. Or pour être compétitifs, certains voudront raboter sur un coût ou un autre et donc inévitablement, la qualité générale s’en ressent. Pas chez nous. Regardez notre boîte Classic. Seuls des polisseurs très expérimentés réussissent à respecter les lignes d’une pièce qui paraît, au premier abord, simple. »4
L’effet papillon de l’artiste designer Gérald Genta
En créant en 1972 le modèle Royal Oak, Gerald Genta (1931-2011) n’aurait probablement pas imaginé que son design ferait école 50 ans plus tard. Dans l’article « Gerald Genta, l’improbable consécration », nous explorons en détail la vie et l’œuvre de l’un des premiers designers-horlogers, à travers l’invraisemblable genèse de la Royal Oak : « Monsieur Genta, nous avons une distribution qui nous demande une montre sport en acier qui n’existe pas. Il me faut un dessin pour demain » lui aurait demandé Georges Golay (1921-1987), CEO à l’époque de la marque du Brassus, Audemars Piguet. À la faveur de cet anniversaire, et de l’annonce faite par Patek Philippe Philippe de mettre fin à la production de la Nautilus 57 11, dessinée en 1976 par Genta, le style « sport-élégance » a conquis toute l’industrie. On ne compte plus les nouveautés de 2022, inspirées des codes stylistiques imaginés par Gérald Genta il y a un demi-siècle. Tout naturellement, la côte sur le marché secondaire des modèles Royal Oak et Nautilus se sont littéralement envolés. Qu’en sera-t-il en 2023 ? La marque Gérald Genta aujourd’hui produite par la maison Bulgari saura-t-elle tirer profit de cet héritage unique ? La valeur rajoutée des montres dessinées par Genta continuera-t-elle à se maintenir, après l’inévitable correction du marché en fin 2022 ?
Les paradoxes d’une horlogerie « écoresponsable »
La conscience des industriels s’éveille peu à peu, sous la pression d’une nouvelle génération pour qui la transparence, la traçabilité et le développement durable sont des valeurs non négociables. Les mentalités évoluent, et le secteur horloger se voit aujourd’hui contraint d’agir.déclarait récemment le co-CEO de la marque Oris, Rolf Studer, lors du dernier salon Watches & Wonder5. Au-delà des effets d’annonce et du politiquement correct, la neutralité carbone s’est imposée peu à peu comme un enjeu clef. Les risques de pénurie énergétique ont même accéléré l’apparition de départements spécialisés dans les grandes manufactures. De nouveaux modèles de montres « écoresponsables » ont même vu le jour en 2022. Parmi de nombreux exemples, citons le modèle Ulysse Nardin Diver X The Ocean Race dont 60% du boîtier et 100% du bracelet sont composés de Nylo®, un polyamide 6 recyclé de filets de pêche usagés, un brevet de la start-up bretonne Fil & Fab.« Il y a quelques années, nous buvions du champagne avec nos clients lors des événements. Aujourd’hui, nous allons ensemble nettoyer les plages »
La belle horlogerie est éternelle, sélection
En guise de mise en bouche pour 2023, nous publions quelques modèles choisis par l’atelier de l’horloger parisien Antoine De Macedo. Ces montres exceptionnelles ont provoqué la curiosité et retenu l’attentiuon pour leur rareté, leurs finitions hors normes voire même leur singularité stylistique. Un témoignage émouvant à la grandeur d’un artisanat en perpétuel renouvellement, comme le rappelait le grand horloger Georges Daniels :« L’horlogerie n’est pas une technologie, c’est un artisanat, quelque chose que vous faites avec vos mains. Dans les mains des grands maîtres, il devient un art. »6
Notes :
1 HABEL Odile, « Re-Luxury, premier salon du luxe de seconde main », www.lesgenevoises.com, 2022
2 DE HARO Hubert, « Créateurs horlogers : sur les chemins de l’indépendance », journal du site de l’horloger parisien Antoine De Macedo, Juillet 2022.
3 DE HARO Hubert, « A Força tranquila », entretien avec François-Paul Journe pour la revue Espiral do Tempo Nº26, 2007.
4 DE HARO Hubert, « Un Ferrier peut en cacher un autre », journal du site de l’horloger parisien Antoine De Macedo, Octobre 2022.
5 Audemars Piguet Chronicles, « La naissance d’une Icône », 2022.
6 Version orginale traduite librement par l’auteur : « Watchmaking is not a technology, it is a craft, something you do with your hands. In the hands of the great masters it becomes art ». Extrait de « Georges Daniels, A Master Watchmaker and His Art » par CLERIZO Michael, édition Thames & Hudson; 2013.
Gallerie photos :
Toutes les photographies publiées ici sont tirées de l’Instagram #Antoine.De.Macedo. Toute reproduction requiert l’accord explicite de la maison Antoine De Macedo.
ROLEX référence 8171 « Padellone ». Modèle rare, en acier, datant de 1951.
Laurent Ferrier Galet tourbillon. Édition limitée à 18 montres. Boîte en acier, cadran émail grand feu. 2019.
Audemars Piguet Royal Oak référence 5402. Boîte et bracelet Or et Acier. 1984.
Vacheron Constantin Mercator. Boîtes en platine. De gauche à droite, série limitée à 10 exemplaires (édition France), à 10 exemplaires (édition America) et à 20 exemplaires (édition Thaïlande).
Breguet référence 5247. Boîte en or rose, cadran émaillé. 2012.
Jaeger-LeCoultre Reverso Minute Repeater. Édition limitée à 500 exemplaires. 1994.
Cartier Tortue, référence 2356. Chronographe Monopulsant.
A. Lange & Söhne 1815. Chronographe de la première génération. 2006
Girard-Perregaux Modulor 1945. Série limitée à 50 pièces en hommage à Le Corbusier.
Daniel Roth. Probablement le seul prototype de la papillon Ellipsocurvex en acier.