Créateurs horlogers: sur les chemins de l'indépendance

Par Hubert de Haro

@HDH Publishing

Juillet 2022

Les collectionneurs les adulent, les media les acclament et les marques établies s’en inspirent : ce sont les horlogers indépendants. Toutefois, leur parcours est semé d’embuches et la plupart d’entre eux doivent leur survie économique à cet étrange mélange de ténacité, d’inventivité et d’heureuses rencontres. À la confluence des métiers d’art, de la pratique d’une tradition séculaire et de l’innovation technique, ces entrepreneurs se sont forgés une identité propre et singulière. Mais au fond, qui sont-ils ?

Une profession manuelle

L’horlogerie est perçue comme un métier d’artisan. Ces professionnels exercent une activité manuelle qui requiert de l’habilité, de la dextérité et un savoir-faire acquis au fil des années. On apporte la montre à réparer chez l’horloger du quartier, comme on le fait pour la voiture chez le mécanicien.

L’image que nous avons de cette profession séculaire nous influence inévitablement à l’heure de dresser le portrait du fabricant horloger. Il est à peu près consensuel que seul un technicien hors-pair, doué de ses mains, peut prétendre développer sa propre marque ou collaborer avec les marques horlogères de prestige.

Polissage et anglage à la main, probablement à l'aide de bois de gentiane. Atelier Laurent Ferrier. © photo @antoine.de.macedo

Et pourtant, vivre de ses mains n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur, comme l’atteste l’horloger indépendant Vincent Calabrese1 : " En 1977, lorsque j’ai commencé à travailler comme horloger indépendant en Suisse, une des difficultés majeures pour trouver des clients potentiels était que personne ne pensait qu’il y avait quoi que ce soit d’extraordinaire à faire tout seul ses propres montres, entièrement à la main. L’artisanat, pour le grand public, ce n’était rien, ou plutôt ça n’étonnait personne. Il y avait une telle désinformation qu’il y avait toujours quelqu’un pour me dire “ah oui vous faites des montres à la main, moi aussi je connais quelqu’un qui est horloger et qui les fait à la main."

L’horlogerie n’est pas une technologie, c’est un artisanat, quelque chose que vous faites avec vos mains. Dans les mains des grands maîtres, il devient un art. Georges Daniels2

Montre personnelle de Georges Daniels datant de 1987: grande complication. calendrier perpétuel instantané, répétition de minutes, phases de lune, thermomètre, équation du temps, calendrier annuel et tourbillon co-axial. Vendue par Philipps à Genève, le 12 Mai 2019, pour CHF2,420,000

Si aujourd’hui les métiers de l’artisanat ont reconquis leurs lettres de noblesse et les écoles d’horlogerie ne désemplissent pas, le succès médiatique de certains indépendants expliquent aussi le regain d’intérêt pour la profession. Cependant, leur parcours est loin d’être une sinécure.

 

Du fond de cale aux feux de la rampe

Les horlogers indépendants ont la cote, au sens propre comme au sens figuré. À la faveur d’une visite, les collectionneurs s’étonnent de leur ouverture d’esprit, de leur sympathie. Dans les ateliers, ils assistent, muets, à une étrange alchimie : la matière inerte se transforme sous leurs yeux ébahis, en un garde-temps aux finitions irréprochables. Les superlatifs circulent sur les réseaux sociaux, dont la presse spécialisée se fait l’écho. Tout concourt à redorer le blason de cette profession manuelle. À pas feutrés, quelques exemplaires ont même trouvé le chemin des maisons aux enchères.

Vianney Halter Antiqua Perpetual Calendar (à gauche): vendue par Ineichen Auctioneers le 21 novembre 2021 (lot 16) pour CHF 190.000. À droite: François-Paul Journe Chronomètre bleu, vendue par Christie’s le 9 Juin 2022  (lot 124) pour US$ 94.500. © photos: Ineichen Auctioneers et Christie's

De nouvelles plateformes digitales émergent et portent haut l’étendard de la "cause indépendantiste". Ces nouveaux canaux de vente sont gérés parfois par d’anciens managers expérimentés, évincés maladroitement de leur poste à responsabilité. On soupçonne un sentiment de revanche envers ces groupes horlogers, dont les organigrammes laissent peu de place à l’initiative personnelle.

Il en faut bien plus pour ébranler l'insolente domination des deux incontournables maisons indépendantes – Rolex et Patek Philippe. Pourtant, tous comprennent que ces "oubliés" du marché horloger sont devenus en quelques années des protagonistes incontournables sur lesquels il faut compter.

Jusqu'à récemment, les ventes aux enchères se concentraient surtout sur les montres qualifiées de “vintage“, dont la production s’étend des années 1940 aux années 80. Un cercle restreint de connaisseurs - cultivés et souvent d'origine italienne - s'y retrouvait. Le négociant Davide Parmegiani dépeint3 ces années 80, comme une Rennaissance de cette horlogerie mécanique tombée dans l’oubli.

Osvaldo Patrizzi et sa maison Antiquorum bousculent les certitudes organisant les premières ventes thématiques. Se succèdent “The Art of Cartier” en 1988, “The Art of Patek Philippe” en 1989, “The Art of Breguet” en 1991 et enfin “The Art of French Watchmaking” en 1993. Le marché se développe et attire des collectionneurs curieux d’exotisme. Certains spécialistes italiens se déplacent même dans le monde entier pour dénicher la prochaine pépite. Les États-Unis font l’objet de toutes les convoitises; idem pour le Brésil qui sera fondamental pour le développement de Patek Philippe au début du XXe siècle.

Et puis, à la surprise générale, la montre moderne produite par de modestes entreprises - pour la plupart encore détenues par leur créateur - s'est imposée4.

De Bethune DB22 Full titanium spaceship titanium et Daniel Roth Papillon edition limitée 110 pièces, or blanc. © photo @antoine.de.macedo

 

Ces structures livrent chaque année quelques dizaines et – plus rarement – quelques centaines de montres. Elles pèsent donc peu dans le paysage horloger, au mieux l’équivalent de quelques jours de la production du leader Rolex.

Toutefois, l’image de l’atelier horloger poussiéreux, d’une profession manuelle utile mais qui ne fait guère rêver, a aujourd’hui totalement disparue.

L'école de la restauration.

Les grands noms de l’horlogerie indépendante moderne ont tous été confrontés à la crise du quartz des années 70. Alors jeunes techniciens, ces individus à la forte personnalité se refusent à intégrer des maisons horlogères, qui d’ailleurs recrutent peu. Ils trouvent bien souvent un emploi dans des ateliers de réparation, tenus par des amis ou par un membre de leur famille. 

"Si quelqu'un s'intéresse à un métier, il en recherche les origines, les sources. Ce qui est intéressant dans la restauration, c'est de comprendre la synthèse que quelques horlogers ont réalisé. Lorsque je décide de produire un nouveau calibre, la vraie complication est d'inventer une pièce qui pourra en remplacer trois." François-Paul Journe5

Photographie du jeune François-Paul Journe, dans son atelier parisien, rue de Verneuil. L'horloger travaille sur la pendule Sympathique en or Nº3, équipée d'un montre de poche à chronomètre, marqueterie de jade Zoizite et cristal Rutil. Achevée em 1990, cette pièce exceptionnele appartient aujourd'hui à une collection privée. © photo: livre de Jean-Pierre Grosz sur François-Paul Journe.

Les musées publics et les grandes collections privée assurent le quotidien économique de ces microentreprises. Philippe Stern – propriétaire de la maison Patek Philippe – s’adresse à Svend Andersen en 1981 lorsqu’il souhaite restaurer sa collection, présentée dans le tout nouveau musée de la marque. Un certain Frank Müller, alors employé dans l’atelier Andersen, s’engage également dans cette fascinante mission.

Dans le même temps, le succès grandissant de la maison Antiquorum à Genève oblige Osvaldo Patrizzi à avoir recours à Svend Andersen, mais aussi à Roger Dubuis, Antoine Presiuzo, Franck Müller ou encore à Philippe Dufour.

Avant eux, le restaurateur Georges Daniels développe son art en réparant les pièces de grands collectionneurs dont le fameux Sam Clutton, avec qui il rédigera l’opus "Watches". Dans le reportage “A Man of Time6, il estime que chaque intervention sur une montre doit être invisible pour son propriétaire, et que la seule manière d’y parvenir est “de se mettre dans la tête du créateur horloger et de fonctionner comme lui“.

Ce qui était une réalité à l’époque, continue à l’être aujourd’hui. Le jeune horloger Raúl Pagès en témoigne également : “lorsque je travaillais pour Michel Parmigiani, je restaurais des pièces pour le Musée Patek Philippe. C’était incroyable de travailler sur des montres de poche ou des automates Jaquet-Droz; vous apprenez tellement. Si une dent est cassée sur une vieille montre de poche, vous n’avez plus accès à de fourniture. Vous devez chercher et comprendre comment cette pièce était produite à l’époque. Vous apprenez toutes les étapes du processus horloger lorsque vous travaillez dans la restauration.“7

 Atelier de réparation Audemars Piguet, au Brassus, Suisse. © crédit photo nuno correia pour la revue Espiral do Tempo Nº32

Incontournable académie

En quête de visibilité, Svend Andersen et Vincent Calabrese fondent en 1986 l’A.H.C.I., l'Académie Horlogère des Créateurs Indépendants. L’incursion du quartz se faisant encore ressentir dans le secteur, les membres de l’AHCI présentent leurs créations à la foire de Bâle de la même année. La photographie de groupe montre l’horloger Georges Daniels – un demi-dieu pour la plupart d’entre eux – aux côtés des jeunes espoirs François-Paul Journe et Franck Müller.

Photo de famille de la toute jeune Académie Horlogère des Créateurs Indépendants. Bâle, 1986. On reconnaît à gauche Georges Daniels entouré de François-Paul Journe et de Franck Müller © livre FP Journe de Jean-Pierre Grosz

Cette projection médiatique attise l’intérêt de certaines marques. Les horlogers sont invités à développer des projets spécifiques, là où les compétences internes font défaut. La marque Corum relance ainsi sa production mécanique en s’appuyant sur le brevet de la « Golden Bridge », imaginée par Vincent Calabrese en 1977. Puis c’est au tour de la maison Ulysse Nardin de collaborer avec Jörg Spöring et Ludwig Oechslin pour miniaturiser l’astrolabe. Au Brassus, Blancpain et l’hyperactif Jean-Claude Biver font appel à Dominique Loiseau et Vincent Calabrese pour relancer les tourbillons. Enfin, Omega adapte peu à peu l’intégralité de sa production, en adoptant l’échappement co-axial brevetée par Georges Daniels.

Car « les temps sont durs », comme le souligne Philippe Dufour8, qui fait face à de grandes difficultés financières. Il cède sa première répétition de minutes à une marque horlogère, dont il passera sous silence le nom. Celle-ci lui commande aussitôt quatre autres modèles, ce qui permet à l’horloger de la Vallée de Joux de continuer son activité cinq années durant. Tout semble aller pour le mieux jusqu'au moment où le créateur se rend compte que son nom a été totalement oblitéré du catalogue de la marque.

 

« Lorsque vous passez une année sur une montre, vous vous attendez à du respect. Cette première montre m'a pratiquement détruit. » Philippe Dufour8

 

Atelier de Philippe Dufour. © photo: Ralf Baumgarten pour le livre « Twelve Faces of Time, Horological Virtuosos »

La quadrature du cercle

Lancer sa propre marque requiert des moyens financiers qui relèguent dans l'oubli un grand nombre de créateurs. Selon l’anthropologue Hervé Munz1, « quelques irréductibles font savoir qu'ils sont capables de tout faire à la main. Or après enquête, ce n'est effectivement jamais le cas, essentiellement pour des raisons économiques, tout faire à la main, soit avec de l'outillage conventionnel revient trop cher ».

Et c'est bien là tout le paradoxe de l'image d'Épinal du génial créateur assis à son établi. Il se heurte inévitablement à une réalité bien plus prosaïque, faite de dépendance industrielle. À moins de pouvoir dédier une année entière par montre, toute micro-marque désirant produire une quantité minimum doit acquérir pour le moins spiraux, pierres et certains rouages. Hors, l’accès même aux fournitures s’avère de plus en plus compliqué.

« À mes débuts, n'étant pas verticalisé comme aujourd'hui dans ma production, je n'ai pas eu de difficultés à trouver de fournisseurs. Aujourd'hui, il me serait impossible d'avoir une pièce. » François-Paul Journe5

 

Les créateurs horlogers sont donc contraints de constituer un parc machines d’outils mécaniques de haute précision. Car comme le souligne Hervé Munz, "l'un des maîtres mots de ces horlogers est de réaliser le plus possible d'étapes de production eux-mêmes."

« Il m'a toujours paru primordial de développer notre propre calibre si nous voulions lancer notre marque. Et c'est ce que nous avons fait avec mon fils Christian. » Laurent Ferrier9


En mai 2022, Laurent Ferrier visite l'horloger parisien Antoine de Macedo à la faveur de a présentation du nouveau modèle Sport Auto Blue. © photo @antoine.de.macedo

Irrésistible fait-main.

Mais le débat sur l'horlogerie indépendante ne se conscrit pas uniquement à la dépendance industrielle. L'autre atout majeur des artisans créateurs, aux yeux des collectionneurs, réside aussi dans leur capacité à polir la plupart des composants mouvement, à la faveur d’un savoir-faire ancestral. « La valeur d'une entreprise n'est pas dans ses CNC (NDLR : Computer Numerical Control), rappelle Philippe Dufour8. La technologie, les chinois la maîtrisent aussi bien que nous. Si nous ne prenons pas garde à perpétuer le savoir-faire manuel, la Suisse n'offrira bientôt rien de plus que les Asiatiques. » Àprès ces mots, nous ressentons l'urgence de protéger et de transmettre, comme si la culture du bien faire et du fait-main ne préoccupait aujourd'hui qu'un groupe restreint de créateurs conscients de produire des montres avec des matériaux « disponibles depuis des centaines d'années», comme l'écrit Roger Smith.

 

 

Roger W Smith Series 2 Open Dial. Montre en platine d’une série de 12 pièces datant de 2017. Vendue US $840.700 par Philipps le 12 Juin 2022 à NY (lot 11). © photo: www.rwsmithwatches.com

Et pourtant, tous ne partagent pas cet avis. Comme le rappelle Hervé Munzau détour d’un entretien avec un horloger : « je sais que certains de mes collègues sont parfois valorisés pour leur magnifique travail à l’établi, le soin incroyable qu’ils apportent à la finition des pièces, ils anglent à la main, ils fignolent. Je suis désolé mais ça, ça n’a jamais été un travail d’horloger, c’est un travail de bonne femme ! ».

Philippe Dufour Simplicity, 2004. Montre vendue par la maison Philipps le 7 Novembre 2021 (lot 115), à Genève, pour CHF 756.000. © photo de www.acollectedman

Perspectives

Les créateurs horlogers indépendants partagent de très nombreux dénominateurs communs, à tel point qu’il est possible de dresser un premier « portrait-robot » :

  • Adolescent, il suit une première formation technique manuelle, sédimentée par des années de restauration de pièces mécaniques historiques, issues de collections privées et de musées (montres, pendules, pendulettes, horloges etc.). Ce passage obligé lui permet d’étudier une vaste variété de mécanismes et de solutions techniques, pour la plupart tombée dans l’oubli.
  • Au contact de ces collectionneurs, l’horloger restaurateur constitue un riche carnet d’adresse. Ces clients lui soufflent parfois l’idée de reproduire une montre historique. De là à rêver de développer ses propres montres, il n’y a qu’un pas.

Montre chronomètre automatique signée François-Paul Journe, avec calendrier perpétuel rétrograde 5/86. 5ième pièce unique construite par l'horloger et achevée en 1986. © photo: livre de Jean-Pierre Grosz sur François-Paul Journe.

    • Même s’il collabore avec des marques établies, son farouche esprit indépendant le pousse inévitablement à se lancer dans l’aventure individuelle. Titulaire record de huit Grand Prix de l’Horlogerie de Genève (dont le premier en 2007 et le dernier en 2020), Kari Voutilainen rappelait récemment qu’une montre « n’est pas ou n’est plus anonyme. Et quoi de plus précieux pour un horloger qui tient à sortir de l’anonymat que d’agir et d’exercer en toute indépendance. Le travail fractionné de l’industrie mène à l’oubli ».

      « Pour moi, être horloger signifie être indépendant et avoir la liberté de créer. Je sais que c’est très égoïste mais je ne veux pas devoir faire quelque chose juste pour rendre les autres heureux. Je veux pouvoir créer et rien d’autre. »

      Rexhep Rexhepi10

        • Alors que les années 90 permettaient encore de s’approvisionner en fournitures, l’accès en est, aujourd’hui, beaucoup plus difficile. Pour s’équiper en machines CNC, le créateur horloger est contraint de lever des fonds, exercice délicat auquel il n’est pas formé. Il n’en perd pas pour autant l’ambition d’indépendance industrielle. À ce titre, le cas de Georges Daniels fait figure de proue. Totalement autodidacte, le créateur horloger installé sur l’île de Man consacre sa carrière à penser, à construire et à terminer à la main l’ensemble de ses 37 montres de poche. Il est la preuve vivante qu’il est possible de réaliser intégralement à la main une montre. En un sens, la planète des horlogers indépendants lui doit beaucoup.
        • Les collectionneurs exigent d’une montre issue des ateliers d’un indépendant, des finitions haut de gamme. Anglage, poli miroir et autres polissages distinctifs se révèlent autant d’avantages compétitifs.

          « Celui qui achètera ma montre est totalement conscient du travail manuel accompli, du soin apporté à sa réalisation. Et c’est ça qui le motive. Du savoir-faire, pas du marketing. » Kari Voutilainen10


          Montre Kari Voutilainen « vingt-8 ». © photo: @antoine.de.macedo

           

          1. Après quatre années de recherche l’anthropologue Hervé Munz a démontré que cette nouvelle profession est apparue entre 1975 et 1990. Jusqu’alors, la production horlogère relevait d’une simple dichotomie : d’un côté, les fabriques se dédiaient à la production de mouvements (ou ébauches), tandis que de l’autre, les marques établies réalisaient le montage complet et la commercialisation. L’image du cabinotier accomplissant toutes les étapes - depuis la conception jusqu’à la vente - ne serait qu’une invention très largement répandue par certaines marques établies. Un personnage de carte postale, en quelque sorte, qui n’aurait jamais existé … jusqu’à l’émergence du créateur horloger indépendant, qui « crée des mouvements de montre, les pense, les dessine, les construit, fabrique une partie de leurs pièces, les assemble, les termine et s’occupe de leur commercialisation et de leur entretien1 ».
          • En revanche, les jeunes horlogers attirés par l’aventure de l’indépendance sont confrontés à de grandes difficultés. L’un deux, David Candaux, reconnaît que « démarrer une marque est devenu difficile. Bien que je sois quasiment seul, on me compare forcément avec des marques déjà bien reconnues et établies. C’est difficile car le client devient attentiste12 ».

          « Il suffit de bien regarder : l’explosion du prix des indépendants dans les ventes aux enchères ne concerne en fait que les "vieux" indépendants. Il faut laisser du temps au temps. » David Candaux12

          Pour conclure, le curieux observera que lors des trois dernières ventes aux enchères à New York en juin 2022, Rolex et Patek Philippe totalisaient plus de la moitié des lots vendus : 86 sur 163 chez Phillips, 85 sur 168 chez Christie’s et enfin 72 sur 156 chez Sotheby’s. En revanche, les modèles des créateurs indépendants n’atteignaient pas même les 40 montres vendues.

          Les grandes maisons de ventes aux enchères, dont l’activité influence nettement le marché horloger, pourraient proposer une offre plus équilibrée entre marques établies et créateurs horlogers indépendants. En adoptant une attitude plus activiste, elles défendraient l’avenir économique de dizaines de microentreprises qui constituent un vivier humain au potentiel d’innovation hors normes.


          À suivre...

          Nous souhaitons remercier l'anthropologue Hervé Munz pour sa sollicitude et sa gentillesse à nous répondre.

           

          Vidéo sur la vie et l'oeuvre de l'horloger George Daniels. Un reportage émouvant raconté à la première personne.

          Références:

          1 Ce témoignage exceptionnel a été recueilli par l’anthropologue Hervé Munz, à l’occasion de sa thèse de doctorat publiée sous le titre « La transmission en jeu : apprendre, pratiquer, patrimonialiser l’horlogerie en suisse »,. Lors d’un échange récent, il nous confirmait avoir « travaillé près de 4 ans dans l’atelier de l’un de ces créateurs, mené près de 50 entretiens semi-directifs avec l’ensemble d’entre eux et passé près de 15 foires horlogères à leurs côtés ». Par ailleurs, le chercheur partage dans son ouvrage des dizaines d’autres entretiens, qui font un document inestimable, tout à fait d’actualité.

          2 “Watchmaking is not a technology, it is a craft, something you do with your hands. In the hands of the great masters it becomes art.” George Daniels dans “A Master Watchmaker and His Art“ par Michael Clerizo ;

          3 REARDON John, “Interview with Davide Parmegiani the super dealer of vintage watches“, www.collectibility.com

          4 DE HARO Hubert, “Âmes sensibles s'abstenir : la montre, valeur refuge ou investissement spéculatif?“, Magazine digital de l’horloger parisien Antoine de Macedo www.adm-horloger.com

          5 DE HARO Hubert, “A Força tranquila“, entretien avec François-Paul Journe pour la revue Espiral do Tempo Nº26.

          6A Man of Time “, Georges Daniels.

          7 A Collected Man, Interview of Raúl Pagès, 2022.

          8 DOERR Elizabeth et BAUMGARTEN Ralf, "Twelve Faces of Time, Horological Virtuosos" (" Douze visage du temps, virtuoses horlogers "), Edition TeNeues, 2010

          9 A Collected Man, "From the bench: Laurent Ferrier", 2018.

          10 BAKER Logan, "Rexhep Rexhepi’s rise", Hodinkee Vol.10, pp51, 2022.

          11 MAILLARD Pierre, “Kari Voutilainen et Tatsuo Kitamura, rencontre au sommet”, Europa Star, Juin 2022.

          12 MAILLARD Pierre, “David Candaux: le prix de l’indépendance”, Europa Star, Juillet 2021.

           

          Pour en savoir plus :

          CLERIZO Michael “A Master Watchmaker and His Art“.

          MUNZ Hervé, "La transmissions en jeu : apprendre, pratiquer, patrimonialiser l’horlogerie en suisse.", Collection histoire et horlogerie éditions alphil-presses universitaires suisses. 2015.

          MUNZ Hervé, "L’ethnie des artisans indépendants", Watch-Around, Édition 23, 2017.

          ROULET Christophe Roulet, “Horlogers indépendants : la consécration“, Journal de la Haute Horlogerie, 2021.

           

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