Le temps d’une seconde (II) : Chronique d’une révolution annoncée.
MÉTROLOGIE
La seconde est une des sept unités du Système International (SI) des mesures, à l’instar du mètre (distance) ou encore du kilogramme (masse). Entrelacées, superposées ou alignées, selon votre vision du temps, les secondes s’assemblent en minutes, elles-mêmes en heures, puis en jours pour échafauder le grand édifice du temps. Or, les derniers systèmes de navigation et les transactions financières instantanées exigent une exactitude sans faille à la mesure du temps. Aujourd’hui, un peu dans l’indifférence générale, la seconde est l’objet d’intenses querelles scientifiques insoupçonnées, aux contours géopolitiques surprenants. À quoi ressemblera la nouvelle seconde et quels en sont les enjeux pour notre quotidien ?
Texte : Hubert de Haro / HDH Publising,
Publié le 15 mars 2023.
« Mesurer le temps, rappelle le chercheur Sébastien Bize1, revient à compter des oscillations. Plus le rythme de ces dernières - la fréquence - est rapide, meilleure est la précision. Les horlogers sont passés du pendule battant une fois par seconde à des systèmes de quartz qui oscillent en millions de fois par seconde. Aujourd’hui, ce sont les atomes dont on compte les oscillations très régulières qui définissent la seconde »2.
En effet, dès 1955, le laboratoire national de physique anglais (National Physical Laboratory), explore des propriétés bien spécifiques de l’atome de césium 133 et élabore la première horloge dite « atomique ». Alors qu’une montre mécanique oscille généralement à 4 Hz, une montre quartz à 32 kHz (soit dix mille fois plus), une horloge astronomique classique oscille à 9,2 GHz soit près de cent mille fois plus qu’une montre quartz.
En 1967, à la faveur de la 13e Conférence Générale des Poids et Mesures, cette prouesse technologique aboutit à une refonte historique de la seconde3. Désormais, un réseau de 450 horloges atomiques concilie des mesures périodiques et offrent à la seconde une précision jusqu’ici jamais atteinte : elles dévient en effet, d’une seconde tous les … 300.000 ans !
« Mesurer le temps revient à compter des oscillations. Plus le rythme de ces dernières - la fréquence - est rapide, meilleure est la précision. »
Ces exploits techniques semblaient alors non seulement impossibles à dépasser, mais tout à fait consensuels.
Quand la Terre n’en fait qu’à sa tête.
Depuis la fin du XIXe siècle, l’unité de la seconde se définissait exclusivement par rapport à la durée du jour solaire moyen4. L’heure universelle se forgeait à l’Observatoire britannique de Greenwich et servait donc, d’étalon au système international de fuseaux horaires.
Lire aussi : Le temps d’une seconde (I) : God save the queen.
Et pourtant, la sagesse populaire veut que les jours se suivent et ne se ressemblent pas, adage rigoureusement vérifié. En effet, choisissez deux journées distinctes et comparez leur durée respective. Vous obtiendrez un écart de quelques millièmes de secondes. Pas de quoi perturber votre quotidien, mais suffisamment pour alarmer le Bureau International des Poids et Mesures (BIPM), organisme garant de la stabilité des sept unités de base du Système International (SI) : le kilogramme (masse), le mètre (distance), le Kelvin (température), l’ampère (courant électrique), le candela (intensité de la lumière), le mole (masse moléculaire) … et la seconde.
Car la terre ne tourne pas rond !
Les astronomes ont en effet, constaté ces dernières décennies qu’elle a même tendance à ralentir. « Le réchauffement des océans entraîne une redistribution des pôles vers l’équateur, ce qui modifie l’énergie cinétique de la terre et contribue à son ralentissement » explique l'astrophysicien de l’observatoire de Genève Michel Redon5.
Les marées prendraient également part à ce ralentissement tout autant que les mouvements du noyau interne de la terre, éléments complexes à schématiser et à analyser.
« Le réchauffement des océans entraîne une redistribution des pôles vers l’équateur, ce qui modifie l’énergie cinétique de la terre et contribue à son ralentissement »
Les secondes intermédiaires, la revanche des astronomes.
La nouvelle définition de la seconde dérange et entraîne un profond mécontentement des astronomes de la communauté internationale. Ces derniers n’ont de cesse de faire pression sur les organismes compétents. Selon eux, il est absolument inconcevable que le jour solaire moyen soit dorénavant complétement éclipsé. Peu importe si la vitesse de la rotation de la terre est instable. Il s’agit d’une référence universelle et historique qui doit être prise en compte : la position du soleil à son zénith a toujours, partout et de tout temps définit le midi.
Pour arriver à leurs fins, ils imaginent une solution ingénieuse et pratique qui s’inspire des années bissextiles : rajouter périodiquement une seconde intercalaire permettrait une synchronisation entre le temps atomique et le temps universel. En termes pratiques, cela signifierait que, ponctuellement, les ordinateurs du monde entier afficheraient 23h59:59 puis 23h59:60 avant de passer à 00h00:00.
Leurs arguments trouvent un accueil favorable en 1972 lors de la 14e Conférence générale des poids et mesures. Les délégués des états signataires introduisent le Temps Universel Coordonné (TUC) comme référence internationale absolue. Le TUC se définit alors, comme le Temps Atomique en vigueur, synchronisé avec le temps solaire vrai – appelé aussi UT1 – grâce à l’addition de secondes intercalaires.
Depuis lors, pas moins de 37 secondes ont été intercalées, la dernière en date remonte à 2016.
De quoi satisfaire certains scientifiques, à l’image de David Gambis, ancien astronome à l’IERS. (Institut International d’observation de la rotation de la terre) : « La seconde intermédiaire est le meilleur compromis. C’est la technique qui doit être au service de l’homme et pas l’inverse »6.
Enjeux politiques et scientifiques.
Ce qui paraissait être un long fleuve tranquille et un compromis honorable entre les différentes sensibilités scientifiques, a été remis en cause par des observations récentes : l'accélération de la rotation de la terre. En effet, pour des raisons encore totalement inconnues, les astronomes ont observé en 2020 un phénomène extraordinaire, inverse: pendant 27 jours suivis, la vitesse de rotation de la terre a augmenté !
Par ailleurs, les systèmes de navigation internationaux ainsi que les transactions financières toujours plus rapides éprouvent depuis, des difficultés croissantes à gérer les secondes intermédiaires. Les compagnies aériennes gardent en mémoire les déboires de l’entreprise australienne Quantas qui a vu son système de réserve bloqué des heures durant, suite à l’introduction de la seconde intermédiaire, le 30 juin 2012.
Ainsi, fin 2022, un demi-siècle après l’adoption de l’UTC, mesure hybride entre le temps atomique et le temps astronomique, les délégués de la 27e Conférence générale des poids et mesures ont décidé d’abandonner progressivement les secondes intermédiaires jusqu’à 2035. À cette date, un nombre encore indéterminé de secondes sera rajouté en une seule et dernière fois, pour la durée minimum d’un siècle.
La Doctoresse Patrizia Tavella, cheffe du département du temps du BIPM, à l’origine de cette résolution « D », se réjouit de cette décision historique qui permettra, selon elle, « un flux continu de secondes sans les discontinuités causées par les secondes intermédiaires irrégulières »7.
Contours géopolitiques.
À la faveur de ces profondes transformations, certains scientifiques ont même proposé de remplacer le temps UTC par le GPS, système de navigation américain.
« Le temps GPS, un rival potentiel de l’UTC régi par les horloges atomiques est géré par l’armée américaine sans surveillance mondiale. Il est important de protéger l’heure UTC car elle est gérée par une effort de la communauté internationale »8 s’insurge le Docteur Judah Levine, physicien et co-auteur de la résolution « D ».
Dans un climat politique actuel d’effritement de la coopération internationale, on imagine mal les Russes abandonner leur propre système de navigation Glonass, les chinois leur BeiDou et les européens le Galileo.
Descriptif du mode de fonctionnement du système européen de localisation Galileu, composé de 30 satellites (contre 24 pour le GPS) avec à leurs bords, les dernières horloges atomiques. © Sciences & Avenir.
Il faut reconnaître que le GPS est le système de navigation le plus utilisé au monde. Technologie dominante, il n’adopte plus la seconde intercalaire depuis 1980, et ce, même si les américains sont membres du Système International des mesures. De quoi donner des sueurs froides aux scientifiques internationaux…
Perspectives.
De son côté, la recherche scientifique a apporté ces dernières années d’excellentes perspectives. Une nouvelle technologie dénommée « fontaine à atomes froids » explore les propriétés du Césium 133 (et d’autres atomes) dans des conditions atmosphériques diverses. Les premiers résultats sont étonnants d’exactitude.
Par ailleurs, les horloges optiques ont fait irruption dans le débat. Même si elles doivent faire encore leurs preuves dans le temps, ces horloges de nouvelle génération dévient d’une seconde … toutes les 300 millions d’années !
Horloge optique au strontium, National Physical Laboratory. 2018. © Andrew Brookes / National Physical Laboratory/science.
Face à ces avancées technologiques étourdissantes, les scientifiques se sont d’ores et déjà accordés pour redéfinir la nouvelle seconde, et ce d’ici 2030. Le réseau international d’horloges devrait bientôt incorporer ces deux nouvelles technologies. Elles communiqueront entre elles leurs mesures périodiques grâce à de véritables « autoroutes » de fibres optiques développées pour l’occasion.
Légende du site de l'Observatoire de Paris: "les points rouges, bleus et verts marquent les lieux où les équipements scientifiques conçus par les chercheurs franco-allemands ont été installés. Meynadier / Le Targat / Pottie / LNE-Syrte". © Observatoire de Paris.
La voie des astronomes a belle et bien, été éclipsée par l’émergence de ces « ultra-secondes ». Selon toute vraisemblance, Le Temps Universel Coordonné, s’il survit aux assauts du système de navigation GPS, sera exclusivement technologique, à savoir atomique et optique.
Pour aller plus loin
Notes :
1 Sébastien Bize est directeur adjoint du laboratoire de métrologie du Syrte (SYstème de Référence Temps-Espace) et responsable de l’équipe de recherche sur la métrologie des fréquences optiques.
2 |1|.
3 La seconde se définit aujourd’hui comme « la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 ».
4 Étant donné qu’une journée est précisément constituée de 84.400 secondes (24 heures X 60 minutes X 60 secondes), la communauté internationale s’accordait à définir la seconde comme 1/84.000e partie du jour solaire moyen observé à Greenwich.
5 |4|.
6 |4|.
7 En déclaration à l’Agence France Presse, fin 2022.
8 |5|.
Bibliographie :
|1| FANG (Bess) et BIZE (Sébastien), Vers une redéfinition de la seconde, Magazine La Recherche nº 566, septembre 2021.
|2| FISCHBACHER (Florian), Faut-il recaler la seconde intercalaire ? Journal Le Temps, 19 novembre 2022.
|3| FLÉCHON (Dominique), La conquête du temps, Flammarion, Paris, 2011.
|4| GOUBET (Fabien), Pourquoi vous dormirez une seconde de plus le 30 juin, Journal Le Temps, 26 juin 2015.
|5| MITCHELL (Alanna), Time Has Run Out for the Leap Second, New York Times, 14 novembre 2022.
|6| PAJOT (Philippe), Toujours plus de précision », Magazine La Recherche, hors-série Le temps, pp. 40-45, nº20, juin 2017.
|7| SAVOIE (Denis), La revanche de l’astronomie sur l’atome, Magazine La Recherche, hors-série Le temps, pp. 28-33, nº20, juin 2017.