Le temps d’une seconde (I) : God save the Queen!

MÉTROLOGIE

 

Au repos, notre cœur bat la mesure 60 fois par minute. En d'autres termes, chacune de nos pulsations cardiaques équivaut à une seconde. Une définition intuitive, simple à concevoir, universelle et intemporelle. Et pourtant, un peu dans l'indifférence générale, de puissants lobbies s’affrontent pour imposer « leur seconde ».  Le Bureau International des Poids et Mesures (BIPM), l’organisme compétent en la matière, a d’ailleurs, lancé ce sujet de discussion lors de sa 27e conférence générale, tenue au Palais des Congrès de Versailles du 15 au 18 novembre dernier. Les délégués des 64 états membres se sont mis d'accord sur « la feuille de route pour la mise en place d'une nouvelle définition de la seconde »1. L’année 2030 a donc été retenue comme date butoir de ce changement. Les scientifiques affûtent d’ores et déjà leurs arguments : le temps est compté. En quoi ce débat affecte-t-il notre quotidien et quels en sont les enjeux ? Petit résumé de l’histoire de la seconde avec un tour de table des différentes forces en présence.

 

Texte : Hubert de Haro / HDH Publising

Ière partie.

Il était une fois … l’Homme.

Vous vous souviendrez peut-être, de ces agréables cours d’histoire diffusés à la télévision et présentés avec pédagogie sous la forme de dessins animés. De sympathiques personnages, certains un tant soit peu belliqueux, cohabitaient avec intelligence afin de s'adapter à une nature parfois menaçante. Car il s'agissait, pour les auteurs, d'instruire les plus jeunes, d’inculquer avec humour, l’histoire de la grande aventure humaine. À chaque épisode, les enfants découvraient de nouveaux décors. Au fil de la série, montagnes, prairies, forêts et rivières occupées par une multitude d’animaux sauvages laissaient place à d’audacieuses architectures iconiques, marqueurs d’une époque bien précise : les Pyramides égyptiennes de Gizeh, le Colisée de Rome, la Cathédrale de Notre-Dame de Paris ou encore la fameuse horloge londonienne Big Ben. Cette possible chronologie de l’évolution humaine, même si parfois, par trop eurocentrée, se dessinait sous nos yeux chaque semaine, avec un détail singulier : dans le coin supérieur gauche de l’écran, un affichage calendaire faisait défiler rapidement les années pour nous projeter dans le futur et donc, dans un nouvel épisode.

Le temps s’y mesurait en année.

La série "Il était une fois... l'Homme" fut imaginée par Albert Barillé (1920-2009) pour les studios français Procidis. Composée de 26 épisodes de 26 minutes chacun, son succès fit le bohneur des petits et des grands à partir de 1978. Les personnages furent dessinés par Jean Barbaud (1955-).

 

Et puis, dans la fiction comme dans la réalité, nos sociétés se sont vues contraintes de diviser l’année en fraction de plus en plus petite.

Comment en sommes-nous arrivés aujourd’hui à discuter la définition de la seconde ?

 

Course contre le temps.

Au risque d’énoncer une banalité édifiante, l’arrivée au XVe siècle des européens sur les continents américains et asiatiques, a déclenché une accélération sans précédent, du trafic maritime mondial. La puissance d’un État se mesurait soudain, à sa flotte marchande et militaire. Conquérir de nouveaux territoires était tout à coup devenu l’affaire de marins expérimentés. Les nations européennes se précipitaient alors dans une course effrénée à l’armement et à la construction navale. Peu à peu et contre toute attente, les mers sont devenues, selon les mots d’André Malraux, « le plus grand musée du monde » (l’UNESCO recense pas moins de trois millions de sites culturels sous-marins, dont des milliers de navires). Beaucoup ont succombé face à l’ennemi, ou plus puissant ou plus rusé. D’autres naufragés ont été victimes de leur propre ignorance : ne pas savoir mesurer le temps avec précision. À partir du XVe siècle en effet, les instruments rudimentaires de localisation utilisés jusqu’à alors, ne suffisaient plus. Car l’extraordinaire expansion du trafic maritime exigeait une cartographie précise des terres émergées, des îles aux îlots les plus insignifiants.

On doit au souverain espagnol Filipe III (1578-1621) l’idée première d’offrir la somme colossale de cent mille écus d’or à quiconque pourrait déterminer précisément la position en mer d’un des bateaux de sa flotte. Une authentique épopée scientifique, aux contours, parfois dignes de romans de capes et d’épée, s’engage alors. Elle devait s’étendre rapidement à toute l’Europe, entraînant astronomes et horlogers dans une course folle.  Et pourtant, les années passent sans la moindre solution efficace. 

 

On doit au souverain espagnol Filipe III (1578-1621) l’idée première d’offrir la somme colossale de cent mille écus d’or à quiconque pourrait déterminer précisément la position en mer d’un des bateaux de sa flotte.

Or le 22 octobre 1707, le naufrage de quatre navires de guerre britanniques avec leurs deux mille marins à bord, à quelques encablures des Sorlingues (en anglais les îles Scilly), sur les côtes de la Cornouailles, a choqué profondément les esprits. Dans l’urgence, la couronne anglaise déterminée promulgue le Longitude Act du 8 juillet 1714 où le parlement s’engage à débourser plusieurs prix de 10 à 20.000 livres à l’inventeur capable de déterminer avec précision la longitude en mer.

Au retour des 47 jours de périple passé en mer, le modèle Harrison H4 accusait une erreur de 39,2 secondes, soit une précision extraordinaire pour l’époque, de moins d’une seconde par jour.

Les férus d’histoire et d’horlogerie connaissent la suite : l’horloger John Harrison conçoit plusieurs prototypes d’horloges (désignés plus tard « Chronomètres de Marine »), dont le dernier modèle, la H4, satisfait aux nombreuses exigences du comité, à la faveur d’une traversée désormais célèbre entre Plymouth et l’île de la Barbade. Au retour des 47 jours de périple passé en mer, le modèle accusait une erreur de 39,2 secondes, soit une précision extraordinaire pour l’époque, de moins d’une seconde par jour2.

 

La seconde Fleming.

Le XIXe siècle consacre la domination économique, maritime et culturelle du Royaume-Uni. Son influence économique rayonne sur l'ensemble des pays du Commonwealth. Sa puissance industrielle s'exprime aussi dans un vaste et dense réseau ferroviaire, pionnier pour l’époque. Aux contraintes du temps maritime succède une nouvelle réalité technologique : on ne se déplace plus à dos de cheval mais en train à vapeur. La coordination entre les différentes gares ferroviaire du Royaume-Uni doit primer.  

À tel point qu’en 1840, explique l’auteure Dava Sobel5, « la compagnie ferroviaire britannique Great Western Railway imposa l'heure de Londres à toutes les gares sur son parcours. D'autres compagnies firent aussitôt de même. Dès 1855, toutes les horloges des gares et des offices de poste du pays furent synchronisées selon le temps moyen de Greenwich (GMT) ». À titre de comparaison, le réseau ferroviaire américain dénombrait alors, pas moins de 49 fuseaux horaires officiels ! Les Britanniques entament de premières discussions avec leurs partenaires économiques du Commonwealth. Car l’enjeu est de taille : le formidable essor du télégraphe propage ce débat à l’échelle planétaire.  Il s’agit donc, ni plus ni moins, de trouver une solution technologique, puis de la faire accepter politiquement par l’ensemble des pays du globe.  Dans cette tâche quasi-titanesque, les Etats-Unis seront une fois de plus de précieux alliés. En adoptant tout d’abord à leur propre réseau ferroviaire, la solution de Charles Dowd (1825-1904), professeur originaire de Saratoga Springs dans l’État de New York. Comme l’explique l’ancien conservateur du département Horlogerie de l’Observatoire Royal de Greenwich David Rooney 3, l’idée de Dowd « consiste à définir des zones horaires et attribuer à chacune une seule et même heure. D’une zone à l’autre, arbitrairement, l’horaire varie d’une heure ». L’invention de ce temps ferroviaire (le Standard Railway Time) est remarquable pour l’époque et va nourrir la réflexion du géomètre et ingénieur du Chemin de Fer Canadien Pacifique, Sandford Fleming (1827-1915).  Celui-ci jouera un rôle décisif lors de la Conférence Internationale sur les Méridiens, tenue à Washington en 1884, sous l’égide du président américain Artur Chester. 

Carte du parcours des chemins de fer Northern Pacific vers 1900

D’intenses négociations ont lieu entre les 41 délégué des 25 pays présents, pour aboutir finalement, près d’un mois plus tard, à plusieurs décisions historiques, comme le résume David Rooney4 : «  l’instauration d’un ‘temps universel’ unique lié à un seul méridien de référence, qui servira pour tout système pour lequel la coordination temporelle est cruciale, comme les transports ou les communications ; un réseau mondial des horaires (échelonnés heure par heure, comme chez Dowd)  pour que l’observation des horaires soit localement conforme à la position du soleil ; enfin la programmation d’un « jour universel » voulant que chaque jour débute au moment où il sera minuit au zénith du Méridien de référence ». La plus polémique des décisions valide le choix de l’Observatoire de Greenwich comme point de départ mondial de ce nouveau découpage terrestre en 24 heures (les fuseaux horaires) ou, premier méridien de longitude. En termes pratiques, cela signifie que le Royaume-Uni devient l’étalon mondial du temps, éclipsant au passage l’Observatoire de Paris qui n’acceptera d’adopter les résolutions de la conférence qu’en 1898. Qui plus est, sans jamais faire référence à l’archirivale Greenwich. L’heure du fuseau horaire local français fut alors définie, comme « l’heure à Paris, retardée de huit minutes, 21 secondes »

 

Le jour universel – déterminé par l’écart de temps entre deux passages consécutifs du soleil au zénith de l’Observatoire de Greenwich -  permet enfin de donner à la seconde une définition universelle claire qui fait l’unanimité auprès des astronomes. Pour la calculer précisément, rappelons-nous que, si les 24 heures d'une journée se divisent en 60 minutes et chacun minute en 60 secondes, la seconde représente alors précisément 1/84.400e d’un jour (24X60X60).

Si les 24 heures d'une journée se divisent en 60 minutes et chacun minute en 60 secondes, la seconde représente alors précisément 1/84.400e d’un jour.

Cette toute première définition universelle de la seconde - que nous pouvons baptiser « seconde Fleming » - restera en vigueur jusqu’en 1967. Cette année-là, les délégués réunis à la 13ième Conférence générale des poids et mesures vont adopter un nouveau temps, celui de l’atome.

 

Fin de la 1ere partie.


 

Pour aller plus loin

Notes :

1 « Conférence générale des poids et mesures 2022 : des résolutions pour répondre aux évolutions de notre monde », site du Laboratoire National de Métrologie et d’Essais (LNE).

2 FLÉCHON, |1|, page 199.

3 ROONEY, |4|, page 44.

4 ROONEY, |4|, page 45.

5 SOBEL, |6|, page 63.

 

Bibliographie :

|1| FISCHBACHER (Florian), « Faut-il recaler la seconde intercalaire ? », Journal Le Temps, 19 novembre 2022.

|2| FLÉCHON (Dominique), « La conquête du temps », Flammarion, Paris, 2011.

|3| GOUBET (Fabien), « Pourquoi vous dormirez une seconde de plus le 30 juin », Journal « Le Temps », 26 juin 2015.

|4| ROONEY (David), « Le temps universel », Magazine Patek Philippe Volume II, nº4, automne 2004.

|5| SAVOIE (Denis), « La revanche de l’astronomie sur l’atome », Hors-série « Le temps » du magazine « La Recherche » (pp. 28-33), nº20, juin 2017.

|6| SOBEL (Dava), « Ainsi naquit l’heure du voyageur », The Magazine Rolex, édition III (pp 60-65),

|7| SOBEL (Dava), « Longitude », édition Point, 1998. 

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