Rubis: le nouvel or rouge ?
« La boue cache un rubis
Mais ne le tache pas »
Proverbe chinois.
Pour les amateurs d'horlogerie, les rubis sont des pierres synthétiques, placées aux extrémités des axes de rouages, qui permettent de réduire les frottements et donc, l’usure des mouvements mécaniques. Or, le rubis est aussi une pierre précieuse aux particularités bien spécifiques, dont la valorisation ne cesse d’augmenter. Il est pourtant, bien souvent confondu avec le saphir rose. Décryptage grâce au concours du gemmologue Rui Galopim de Carvalho.
Texte de Hubert de Haro / HDH Publishing 2024.
Le rubis, est-il toujours rouge ?
Aujourd’hui oui... même si cela n’a pas toujours été le cas.
En effet, jusqu’au début du XXe siècle, un grand nombre de pierres précieuses, aux couleurs allant du rose clair au rouge foncé, et aux origines minéralogiques et géographiques très différentes, étaient communément appelées rubis.
Un « rubis » historique de plus d’un siècle, exposé dans un musée pourra être présenté, encore de nos jours, comme un rubis, même si la pierre est en réalité, un saphir rose.
Depuis, il est généralement admis que seules les pierres précieuses de la famille des corindons, à la teinte rouge, sont de vrais rubis.
Collier Cartier Reine Makéda.
Comment distinguer le rubis du saphir rose ?
Rubis et saphir rose appartiennent tous deux à la même famille minérale : le corindon, un oxyde d’aluminium (AI2O3). Il en existe de nombreuses teintes à l’état naturel, du rose, au rouge en passant par le bleu, le jaune ou encore l’orange. C’est la proportion de chrome qui révèle la couleur définitive : le saphir contient moins de chrome que le rubis.
Aujourd’hui, la distinction étymologique entre rubis et saphir rose est claire. Or, la distinction chromatique entre un rose foncé et un rouge n’est pas toujours consensuelle : où s’arrête le rose (saphir) et où commence le rouge (rubis) ? La perception des couleurs étant globalement subjective, où se trouve la frontière entre un rose foncé et un rouge clair ? Dans ce cas, quelle échelle, quels critères appliquer ?
Collier Rubis flamboyant transformable, Or blanc, or rose, 18 rubis ovales et coussin pour 30,40 carats, diamants. Collection Treasure of rubies @Van Cleef & Arpels.
Comme l’explique Rui Galopim de Carvalho, « une pierre de corindon varie de tonalité selon le type de lumière - naturelle ou artificielle – à laquelle elle est exposée. La réflexion de la lumière peut ainsi jouer des tours aux spécialistes.
Un saphir rose exposé à la lumière naturelle conserve sa tonalité rose. En revanche, si vous exposez le même saphir rose sous une lumière incandescente, riche en ultraviolets (3200 K), elle vire au rouge.
Quelle est l’origine étymologique du « rubis » ?
Le rubis est une « pierre précieuse très dure, transparente, d’un rouge plus ou moins vif, variété de corindon ». Dictionnaire de l’Académie française
Sa couleur « lie-de-vin » aurait inspiré l’expression « faire rubis sur l’ongle » qui renvoie à la vielle tradition de « vider son verre de sorte qu’il n’y reste plus qu’une seule goutte qui tiendrait sur l’ongle sans couler ». Par extension, « payer rubis sur l’ongle » signifie « payer exactement et comptant ».
Les gemmes rouges, sont-elles toujours des corindons ?
Non.
Les gemmologues avaient pour habitude de rajouter au terme « rubis » un qualificatif, marqueur de la qualité de la pierre et parfois de son origine géographique, à savoir : rubis oriental (pour la pierre de corindon), rubis balais (pour le spinelle) du Tadjikistan, rubis spinelle de Birmanie, rubis bohémien ou encore rubis brésilien (pour le topaze incarné). La couleur rouge n’était donc, à l’époque, aucunement l’indice d’une vrai rubis corindon.
La plupart des « rubis » de grande taille sont en réalité, des spinelles – ou rubis- balais – originaire du Tadjikistan, ancien Badakhshan.
Le spinelle le plus célèbre est le rubis du « Prince Noir » que l’actuel Roi d’Angleterre Charles III porte, à l’occasion de certaines cérémonies. Il s’agit en réalité d’un grand spinelle, un magnifique exemplaire de “rubis balais” enchâssé expressément, pour le couronnement de son grand-père George VI en 1937, et qui orne la couronne impériale d’apparat.
@ Cyril Davenport — G. Younghusband; C. Davenport (1919). The Crown Jewels of England. London- Cassell & Co. p. 6. (published in the US by Funk & Wagnalls, NY.)
D’ailleurs, et sauf rares exceptions, les plus grands « rubis » royaux, à l’instar du rutilant (grâce à la technique de l’introduction de feuilles d’aluminium, les gemmes paraissent plus brillantes, car elles offrent une couleur translucide plus profonde) Collier « sklavage » avec diamants et des boucles d'oreilles girandoles de Catherine II, s’avèrent être des spinelles.
Collier « sklavage » avec diamants et des boucles d'oreilles girandoles de Catherine II @Pavlov/Sputnik
D’où proviennent les plus beaux rubis du monde ?
« En tant que spécialiste, il est toujours difficile de répondre à cette question » explique Rui.
« Le marché des pierres précieuses tend à valoriser les couleurs les plus rouges, telles que les corindons originaires de Madagascar, du Sri Lanka, de l’Afghanistan, et enfin du Myanmar (ancienne Birmanie) ». Rui Galopim de Carvalho.
Ces derniers contiennent une basse teneur en fer et présentent donc, une carnation stratifiée rouge sur rouge, au contraire de leurs voisins du Cambodge et de la Thaïlande.
Les plus beaux spécimens de corindons rouges, particulièrement transparents, dénommés « sang de pigeon », provenaient en grande partie de la région de Mogok, au Myanmar. Aujourd’hui épuisé, ce filon a fourni les rubis les plus fascinants de l’histoire, et ce, depuis le VIe siècle de notre ère. L’appellation « rubis de Mogok » est aujourd’hui indissociable de la qualité et du prestige d’une pierre précieuse exceptionnelle.
Or, les rubis du Cambodge et de Thaïlande sont « également merveilleux avec leurs nuances lie-de-vin », précise le gemmologue. Tous les goûts et les couleurs sont...
Quel est le rubis le plus cher au monde ?
Jusqu’en 2023, le « Lever de Soleil » ou « Sunrise », un rubis de Myanmar « sang de pigeon » d’un poids de 25,59 carats, acquis par Cartier, était le rubis le plus cher du monde. Il a été vendu le 12 mai 2015, à Genève par Sotheby’s pour 28,250 millions de francs suisses, soit près de 28,5 millions d’euros.
Existe-t-il de nouveaux gisements de rubis ?
Oui.
Au Mozambique, plusieurs gisements ont été mis au jour à partir de 2009, notamment près de la ville de Cabo Delgado. On y trouve des pierres de corindon de grande qualité, plus foncées et moins roses.
En juin 2022, toujours au Mozambique, la mine de Fura a fourni le plus grand rubis jamais découvert à ce jour : l’Étoile de Fura ou – Estrela de Fura. Une pierre précieuse de 55,22 carats soit le double de carats, par rapport au fameux
« Sunrise ». À nouveau, la maison Sotheby’s s’est chargée de la vente de cette pierre exceptionnelle et unique dont le poids avant lapidation, dépassait les 100 carats, le jeudi 8 juin 2023 à New York, pour une valeur de 34 804 00 US dollars, soit environ 32 910 000 euros.
La comparaison entre les valeurs du « Sunrise » et l’« Estrela de Fura » prouve combien les rubis birmans, plus « vintage », jouissent d’une indéfectible notoriété encore jamais égalée par le Mozambique.
Quelle est la dureté d’un rubis ?
D’une dureté de 9 sur l’échelle de Mohs, seuls les diamants sont plus durs que le rubis.
À l’instar du diamant, existe-t-il des rubis synthétiques ?
Vers 1885, le chimiste français Edmond Frémy développe les premiers rubis synthétiques dont la composition chimique, le cristal et les propriétés sont en tout, similaires à celles du corindon. Puis, le chimiste Auguste Verneuil prend la relève et présente lors de l’Exposition Universelle de 1900, un procédé inédit qu’il développe à partir de 1902, qui présente l’avantage d’être utilisé à large échelle, par l’industrie horlogère encore aujourd’hui.
La production actuelle de rubis synthétiques dédiés à l’industrie horlogère est estimée à 200 tonnes par an.
Toutes les autres méthodes de production de rubis en laboratoire ont pratiquement disparu après la découverte de nouveaux gisements en Birmanie (Mong Hsu) et au développement généralisé à partir de 2004, de la production de rubis en verre.
Quelles sont les autres utilités des rubis synthétiques ?
Hors industrie horlogère, d’autres types de rubis synthétiques, obtenus par un procédé technologique distinct entrent dans la composition de lentilles pour lasers ultra-puissants. Leurs propriétés de dureté extrême et leur résistance à des températures élevées leur confèrent des caractéristiques indéniables d’une grande utilité dans l’armement (guide missile).