Dessine-moi un cadran !
Applaudi ou mal compris, le designer horloger est aux avant-postes de chaque nouveau projet. Le collectionneur le perçoit souvent comme un artiste doté d’une forte personnalité et d’une riche culture personnelle. Pourtant, ses propositions s’avèrent davantage un équilibre subtil entre convictions et contingences. Nous avons tendu le microphone à cinq d’entre eux.
Texte de Hubert de Haro / HDH Publishing 2024.
Sous les feux de la rampe
Les designers horlogers s’accordent sur un point crucial : le cadran joue un rôle déterminant dans le succès d’un nouveau modèle. Selon Benoît Mintiens, fondateur de la marque Ressence, « le cadran est le cœur de la montre. La fonction et la raison d’être d’une montre est l’affichage d’une information : elle montre le temps. » À tel point que Nicolas Barth Nussbaumer – designer de la montre « Golf » de TAG Heuer, de la Grande Seconde de Jacquet Droz, de l’Escale de Louis Vuitton ou encore de La Rattrapante de Petermann Bédat - a longtemps présenté ses premières esquisses de montre sans cadran : « Le cadran captait tellement l’attention de mes clients qu’ils en oubliaient presque le boîtier ! En outre, les contraintes de temps ne permettaient pas d’étudier réellement en profondeur la boîte et le cadran. »
Nicolas Barth Nussbaumer @Joël von Allmen
« On reconnaîtrait difficilement une Cartier arborant des chiffres arabes au lieu des traditionnels chiffres romains ! » Nicolas Barth Nussbaumer
Le mot est lâché : contraintes. Loin de l’image d’Épinal de l’artiste totalement libre, chaque nouveau dessin de montre est soumis à de nombreuses exigences.
Le cadran de la ‘GEOMETRY de Schwarz Etienne, conçu par Eric Giroud, rend hommage, selon ses propres mots, "au guillochage traditionnel tout en le soumettant à une approche déconstruite et contemporaine afin créer quelque chose de nouveau’. En bas, un autre projet d'Eric Giroud : la MB&F "HM11" @ Eric_Rossier
« Le cadran est un ensemble très riche d’événements avec lesquels il faut se faire ‘ami’ afin de créer quelque chose de singulier. » Eric Giroud
Funambule éclairé
Le professionnel doit naviguer avec finesse, car le chef de projet a souvent des exigences spécifiques. Il peut demander un dessin inspiré d'une montre « concurrente » ou d'un modèle qu'il apprécie tout particulièrement. Cela exige un équilibre subtil entre répondre aux attentes du client et apporter une touche unique, tout en conservant les “codes visuels propres à chaque marque” comme le souligne Eric Giroud. “Une marque doit établir des codes ” confirme Nicolas Barth Nussbaumer “ et s’y tenir comme l’a fait François-Paul Journe qui a créé un discours et le perpétue.”
Dialogue impérieux
Singularité plurielle
Benoît Mintiens
« Le cadran est le cœur de la montre. La fonction et la raison d’être d’une montre est l’affichage d’une information : elle montre le temps. » Benoît Mintiens
En parallèle, Matthieu Allègre puise son inspiration dans les différents courants artistiques, comme « le Streamline, l’Art déco, le Space Age, ou le Futurisme », ainsi que dans d’autres univers comme « l’automobile, le nautisme, la plongée ou encore, parcourir des milliers d’images de montres vintage » tout en gardant en tête que l’objectif premier est bien « d’inventer et non de copier. »
« L’objectif premier est bien d’inventer et non de copier. » Matthieu Allègre
Quant à Alain Silberstein, son amour pour l'architecture Bauhaus transparaît dans ses créations. Les trois couleurs primaires, jaune, rouge et bleu, devenues son unique palette, ajoutent une touche et une dimension artistiques caractéristiques à ses ca- drans. De l'union entre l'esthétique Bauhaus et ces teintes vibrantes résulte des de- signs de montres reconnaissables au premier coup d’œil. C’est le cas des collaborati- ons avec les marques telles que MB&F, Angelus, Bell & Ross ou encore Louis Erard.
« J’explicite rarement mes créations. Une montre doit évoquer au premier coup d'œil un univers, ou créer une émotion. » Alain Silberstein
Même si leurs références de styles, leurs convictions esthétiques et leurs parcours va- rient, les cinq designers avec qui nous avons échangé partagent au moins, un point commun : l’indépendance vécue au quotidien. Un atout majeur à l’heure d’explorer de nouveaux territoires ou de répondre au plus proche des attentes de leurs clients.
Deux autres exemples de modèles conçus par Nicolas Barth Nussbaumer : à gauche, la Jaquet DROZ Grande seconde et à droite, la Louis Vuitton Escale Worldtime Blue