De la radio-luminescence au Swiss Super-LumiNova® : nos nuits seront plus belles que vos jours.

Un collectionneur aguerri ne s’y trompera pas : la couleur orangée des index de certains cadrans des années 1950 et 1960, témoignent de la dégradation de la peinture radio-luminescente d’origine. Contraints par des législations restrictives, les rares industriels spécialisés dans la production de poudres lumineuses ont radicalement modifié leur processus de fabrication. Comment un cadran, brille-t-il dans l’obscurité ? Les peintures appliquées, sont-elles encore radioactives ? Éclairage sur les différentes matières utilisées en horlogerie, et rencontre avec Albert Zeller, chimiste et dirigeant du leader mondial RC Tritec.

 

Hubert de Haro / HDH Publishing pour le magazine digital de l’horloger parisien Antoine de Macedo, décembre 2023.

 

Matières

 

Albert Zeller, chimiste et CEO de RTC Tritec, dans les laboratoires de la société à Teufen. © RC Tritec.

Luminosité plurielle : trois en un.

Vous avez probablement été ému lors du ballet nocturne de la lumineuse luciole. Cette propriété étonnante s’appelle la phosphorescence, mot d’origine grecque qui signifie littéralement « qui porte la lumière » (de phôs, « lumière », et pherein, « porter » ). Son synonyme, d’origine latine cette fois-ci, est plus commun : la luminescence (de lumen, « lumière »). Et, comme si deux mots pour décrire un même phénomène ne suffisaient pas pour inspirer chimistes, poètes et philosophes, un troisième est apparu à la fin du XIXe siècle : la fluorescence. Dans ce cas, la durée de brillance est très courte, car elle cesse immédiatement après la fin de l’exposition à une source lumineuse. Or, passer de la luciole aux peintures luminescentes sera le fruit d’une étonnante coïncidence.

 
Montre F.P. Journe Élégante 40, boîtier en titane, forme Tortue Plate®.
Le cadran saphir entièrement habillé de Swiss Super LumiNova®, affiche une lecture nocturne singulière : La matière phosphorescente, autrefois cantonnée aux aiguilles et aux chiffres du cadran, s’exhibe pleinement, pour un effet saisissant. ©FP Journe.

 

De salvatrices « Petites Curies ».

La radioactivité découverte par Henri Becquerel (1852-1908) en 1896, puis étudiée par les époux Pierre et Marie Curie au début du XXe siècle, jouissait à l’époque d’un prestige considérable. On le comprend les camions équipés en matériel de radiologie par Marie Curie (1867-1934) pendant la Première Guerre mondiale ont sauvé de nombreuses vies sur le front. Ces véhicules affectueusement, baptisés les « Petites Curies », ont, en effet, réalisé des milliers de radiographies aux blessés, fournissant ainsi, une information cruciale aux chirurgiens.

Une “petite Curie”. Infographie et photographie d’époque.
© Musée Curie.

 

Par la suite, de nombreux produits de cosmétique pour le grand public – dont la société française Tho-Radia – vantent les bienfaits sanitaires de la radioactivité. Cependant, explique Renaud Huyn, directeur du Musée Curie à Paris : « Pour purifier le radium présent dans l’uranium, Marie Curie a dû s’associer à des industriels pour produire des sels de radium. » Une épopée scientifique et industrielle qui va modifier le cours de la grande Histoire… et de la petite.

 

Alors que Marie Curie réussit à produire les premiers sels de radium en 1902, elle reçoit la visite d’un ami, l’ingénieur américain – William J. Hammer (1858-1934). Enthousiaste, il ne repartira pas outre-Atlantique les mains vides, puisque les époux Curie lui offrent, en retour, du sel de radium.

 
Publicité pour les crèmes et les poudres de la marque Tho-Radia (1933).
La formule avait été mise au point par le docteur Alfred Curie, dont le nom évoquait inévitablement, celui des découvreurs de la radioactivité-Pierre et Marie Curie-, même si aucun lien familial ne les unissait. La marque aurait obtenu un certain succès commercial, exploitant les vertus supposées desdites crèmes qui, selon la publicité, « active la circulation, tonifie, raffermit les tissus, élimine la graisse, supprime les rides ». Fort heureusement, la quantité de radium utilisée était alors minime. En 1937, le radium est formellement interdit en cosmétique.

 

Hammer testera ce nouveau matériau au cours de multiples expériences où son intuition le conduira à d’utiliser le sel de radium comme activateur d’une matière phosphorescente, particulièrement performante : le sulfure de Zinc. Il découvre ainsi, la première peinture radio-luminescente. Renaud Huyn explique : « Le radium est un petit-fils de l’uranium. Il émet des particules alpha qui excitent le sulfure de zinc et créent ainsi, la phosphorescence. Ce n’est pas le radium lui-même qui émet cette lumière ». Cette peinture offre donc, l’énorme avantage de ne pas devoir être exposée à une source lumineuse. Elle est en soi, auto-luminescente.

 

"Le radium est un petit-fils de l’uranium. Il émet des particules alpha qui excitent le sulfure de zinc et créent ainsi, la phosphorescence. Ce n’est pas le radium lui-même qui émet cette lumière."

 

Dans la mire du radiomir

Vous vous souvenez peut-être, des premiers modèles « Radiomir », brevetés par Guido Panerai en 1915, en plein conflit armé. La construction audacieuse de son cadran en deux strates laissait entrevoir la peinture radio-luminescente à travers les chiffres ajourés.

Cadran Panerai Radiomir réf. 6154, de 1954.
Avec le temps, le radium s’est graduellement évaporé, transformant la teinte originale en une couleur orangée. @ Helmut Crott, livre « Le Cadran », page 201.

 

 

Cette invention répondait à l’impérieuse nécessité de la marine militaire italienne de lire l’heure, souvent, dans des conditions de luminosité adverses. La diaspora italienne de l’époque, installée outre-Atlantique, a peut-être, guidé le génial Florentin. On ne le saura probablement, jamais.

 

En effet, coïncidence ou pas, une année auparavant, en 1914, la Radium Luminous Material Corporation ouvre ses portes à New York, avant d’installer plus tard, dans le New Jersey, des usines employant des centaines de jeunes ouvrières. Nous sommes dans les années 1920 et la société est devenue l’US Radium Corporation.

Publicité de la peinture luminescente UNDARK, inventée par la new-yorkaise Radium Luminous Material Corporation (vers 1917).
L’entreprise deviendra en 1921, l’U.S. Radium Corporation. Plus tard, à l’occasion d’un procès devenu célèbre, cette dernière sera tenue pénalement, pour responsable de l’empoisonnement de centaines de jeunes employées de la société. En effet, dès leur arrivée à l’atelier, elles devaient effiler la pointe de leur pinceau dans la bouche, avant de le tremper dans la substance radioactive Undark et de l’appliquer sur le cadran d’une montre ou d’une horloge. Les meilleures d’entre elles répétaient cette méthode « lip, deep, paint » jusqu’à 250 fois par jour.

 

En imposant à ses employées d’affiner leur pinceau dans la bouche avant d’appliquer la peinture luminescente, l’entreprise a gravement nui à la santé des jeunes femmes, surnommées plus tard les « Radium Girls ». Les plus habiles peignaient alors, jusqu’à 250 cadrans par jour.

 

Couverture du livre « The Radium Girls » (Kate Moore, édition Simon and Schuster de 2016), et affiche du film « Radium Girls » de Radium Girls de Lydia Dean Pilcher and Ginny Mohler (2018).

En imposant à ses employées d’affiner leur pinceau dans la bouche avant d’appliquer la peinture luminescente, l’entreprise a gravement nui à la santé des jeunes femmes, surnommées plus tard les « Radium Girls ».

Un client belliqueux

Les historiens attribuent souvent, l’essor de la montre-bracelet à une sorte d’adaptation improvisée et généralisée des montres de poche, durant le premier conflit mondial, dans les tranchées françaises. Son usage en vogue, bénéficiera également, de l’invention de la peinture luminescente. Elle permettra en effet, aux soldats, aux plongeurs et aux premiers aviateurs de lire l’heure pendant la nuit. Les usines de l’US Radium Corporation dans New Jersey, tournent alors, à plein régime.

 

 
Annonce du décès du Dr Sabin Sochocky, dans le New York Times du 16 novembre 1928. Déjà à l’époque, le journal établit une corrélation entre la mort du fondateur de l’US Radium Corporation et ses fortes expositions au radium, tout au long de sa carrière professionnelle. © New York Times.

 

Joint-venture salvatrice

Albert Zeller est chimiste de formation et dirige l’entreprise RC Tritec, spécialiste mondial de la luminescence en horlogerie. Il représente la 4e génération d’une dynastie discrète qui se consacre au développement industriel des matériaux luminescents depuis 1934. Dans les années 1950, l’entreprise familiale – la Radium Chemie Zeller – explore la découverte récente des propriétés du tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène, dont la dégradation émet un rayonnement bêta.


Cadran Rolex GMT ref. 1675 de 1973.
L’indication « T<25 » à 6 heures, signifie que les index sont en tritium (ici appliqués sur une décalque blanche). À partir des années 1960, e
Le tritium remplace le radium. La réglementation exige alors, aux horlogers, de limiter les taux de radiation à 25 microcuries. © Helmut Crott, livre “Le Cadran”, page 202.

 

Contrairement au radium, le tritium n’entraîne pas d’effets néfastes connus pour la santé.

 
Exemple d’applications du trigalight, fluorescence à base de tritium.
Depuis les années 1960, la société helvétique MB-Microtec maîtrise la production de cette matière luminescente à base de tritium. Elle fournit encore aujourd’hui à de nombreuses marques horlogères, dont Luminox ou Ball, de petites capsules (en bas sur la photographie) où le tritium, à l’état gazeux, réagit au sulfure de zinc, appliqué sur les parois internes. © MB-Microtec

 

 

Cependant, selon Albert Zeller : « Il n’y a aucune raison de continuer de travailler avec des matériaux radioactifs dangereux pour les personnes et peu stables dans le temps. » Car une alternative de poids va surgir et conquérir l’ensemble de l’industrie horlogère. Une solution qui ne suppose aucun agent radioactif, comme le décrit Albert Zeller : « Au début des années 1990, mon père découvre lors d’un voyage en Chine, l’aluminate de strontium, une matière phosphorescente d’un rendement dix fois supérieur à celui du sulfure de zinc. »

« Au début des années 1990, mon père découvre lors d’un voyage en Chine, l’aluminate de strontium, une matière phosphorescente d’un rendement dix fois supérieur à celui du sulfure de zinc. »

 

 

Swiss Super-Luminova®.
Chaque gramme permet d’illuminer entre 100 et 300 cadrans. © RC Tritec.

 

Les premiers essais s’avèrent compliqués : l’aluminate de strontium est en effet, un matériau extrêmement résistant. Albert Zeller père, requiert alors, l’aide d’un partenaire de longue date – la société japonaise Nemoto. En 1994, et après plusieurs années de recherches, cette dernière dépose finalement, le brevet du LumiNova, une matière phosphorescente, révolutionnaire dont la durabilité dépasse toutes les autres.

 

RC Tritec et Nemoto s’associent alors, dans la joint-venture LumiNova Switzerland SA. Ses installations jouxtent RC Tritec, en Suisse, à Teufen. Au fil des années, RC Tritec s’investit dans des analyses poussées sur le LumiNova. Les recherchesaboutiront au « Swiss Super-LumiNova® », (SLN pour les initiés), une référence incontournable pour l’ensemble de l’industrie horlogère helvétique.

 
Les locaux suisses de RC Tritec, à Teufen. © RC Tritec.

 

Un nouveau répertoire chromatique

Alors que la palette chromatique des premières peintures radio-luminescentes se limitait à une couleur jaune plutôt albâtre à ses débuts, et au vert, le Swiss Super-LumiNova® offre aux créatifs, une gamme étendue de couleurs et de possibilités.

Aluminate de strontium coloré, à la sortie du four.
La palette chromatique du Swiss Super LumiNova® obtenue, n’a de cesse de s’étendre.© RC Tritec.

 

Une fièvre lumineuse bouscule ainsi, les sages codes esthétiques de l’horlogerie. La luminescence autrefois confinée aux chiffres et aux aiguilles, se met en scène et déploie de nouveaux atouts, parfois même, sur la totalité de la surface des cadrans, à l’instar des F.P. Journe élégante. L’horloger finlandais Sarpaneva quant à lui, explore les combinaisons autrefois jugées inacceptables, dans sa « Näkki Harvest Moon Lume ».

L’avenir promet d’apporter son lot de surprises, comme le souligne Albert Zeller : « Un gramme de Swiss Super-LumiNova® permet de fabriquer entre 100 à 300 cadrans. Nous pouvons créer toutes les couleurs du jour, mais aussi, de la nuit. Les possibilités sont presque illimitées. » Qui s’en plaindrait ?

 

Montre Blancpain Fifty Fathoms, 70th Anniversary, Tech Gombessa
Bel exemple d’utilisation de la luminescence pour distinguer deux fonctions de la montre. Les heures et les minutes principales, orange en plein jour, prennent une teinte bleue dans l’obscurité ou en plongée profonde. En revanche, le temps de plongée lisible sur la lunette, passe au vert fluorescent, en mode nocturne. © Blancpain.

 



 

Légende de la première photograhie :

Montre Sarpaneva “Näkki Harvest Moon Lume”
Ce cadran surprenant, illuminé de quinze couleurs distinctes de Swiss Super LumiNova®, illustre merveilleusement, le champ infini des possibilités créatives de cette matière phosphorescente. Les œuvres de l’horloger finlandais Stepan Sarpaneva explorent  souvent, des territoires chromatiques peu conventionnels et offrent ainsi, un terrain d’expression étonnant à la luminescence. © Studio Sarpaneva.

 

 

Sources :

DE HARO (Hubert) Coup de projecteur sur les cadrans phosphorescents, Europa Star (à paraître, mars 2024).

FOSTER (Jack), « Luminous Dials, What Makes Them Glow, And How To Spot Their Differences », Hodinkee. (5 juillet 2018).

France CULTURE, L’histoire oubliée des « Radium Girls » : des femmes lumineuses. (Podcast « Une histoire particulière », 2022).

IAZ (Chams), Les radiumineuses, petites mains oubliées et radioactives de l’horlogerie suisse, Le Temps (08 juin 2018).

NARDIN (Louis) Briller dans la nuit, Watch Around #20, pp.52-55 (Automne 2015).

 

 

Pour aller plus loin (par historique de date de publication) :

HUYN (Renaud) et COSSET (Jean-Marc), La fantastique histoire du radium (Ouest-France, 2011).

MOORE Kate, The Radium Girls (Simon and Schuster, 2016).

PILCHER (Lydia Dean) et MOHLER (Ginny), Film (2018).

RTS, « Près de 1000 ateliers potentiellement contaminés au radium en Suisse », (12 mai 2018).

RTS, « Les 5 objets radioactifs les plus insolites des années folles du Radium », Podcast « Pentagruel », (4 mars 2016).

THÉODORE (Constance), « Cultiver l'engouement suscité par la découverte du radium : le succès commercial et publicitaire de la cosmétique radifère Tho-Radia », Site du Musée Curie, (2019).

TURCAN (Ayse), « Ces femmes qui faisaient luire montres et réveils », Swissinfo.ch, (11 juin 2021).

University of Northampton, « WWII military watches ‘potentially pose serious cancer risk », (16 juin 2018).

 

 

 

© HDH Publishing / Hubert de Haro

 

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