L’opus « Watches » de Cecil Clutton et George Daniels enfin réédité.

ÉDITION

 

Un demi-siècle après sa dernière édition, le livre « Watches » est à nouveau disponible. De quoi s’agit-il ? Rédigé par Cecil Clutton et George Daniels en 1967, cet opus de 320 pages richement illustrées dédié à l’horlogerie mécanique de précision fait encore aujourd’hui, autorité en la matière. Dans un style concis, cette « histoire complète du développement technique et décoratif de la montre » invite le lecteur à un voyage dans le temps. Nous y découvrons, pas à pas, l’inventivité débordante de certains « artistes » rentrés dans la grande histoire de l’horlogerie, de John Arnold à Thomas Mudge, en passant par Thomas Emery, Ferdinand Berthoud, Pierre Le Roy ou encore Abraham-Louis Breguet. Un livre indispensable à tout collectionneur ou simple curieux des arts mécaniques.

 

Hubert de Haro / HDH Publishing, pour le magazine de l’horloger parisien Antoine de Macedo. Jeudi 9 juin 2023. Illustrations : © Philip Wilson Publishers Ltd / Bloomsbury.

 

L’effet George Daniels

Se détachant sur un superbe fond couleur céladon, une montre de poche conçue par l’horloger britannique et co-auteur George Daniels (1926-2011) s’affiche sur la couverture du livre « Watches ». Il s‘agit d’un chronographe tourbillon 4 minutes, équipé de l’échappement co-axial. Ce modèle unique sera commercialisé par la maison Sotheby’s pour la coquette somme de 657.200 livres sterling (environ 773.200 euros), le 18 juillet 2006 (lot 11). Car les montres de poche conçues par George Daniels ne cessent alors d’atteindre de nouveaux records, pour culminer en 2019 avec la « Space Traveller I » (lot 143), à 3.615.000 de livres sterling (soit près de 4.190.000 euros) Cet engouement pour les pièces de l’horloger britannique suscite une curiosité grandissante, à l’origine probablement de cette 4ième édition du livre « Watches ».

 

En effet, la plupart des horlogers indépendants voue un véritable culte à Daniels. Auto-confiné dans l’île du Man (Isle of Man), en mer d’Irlande, il a conçu, développé et fabriqué seul des dizaines de merveilleuses montres de poche et de poignet. En 1967, littéralement immergé dans ses recherches, il accepte cependant, la proposition de son ami et client Cecil Clutton de participer à l’aventure du livre « Watches ». Cette première œuvre sera suivie de plusieurs autres dont le fameux « The Art of Breguet », manuel technique traduit qui a permis à des générations d’horlogers de mieux comprendre l’œuvre de Louis-Abraham Breguet.

 

Un récital à quatre mains

L’un des atouts majeurs de cet essai réside dans la parfaite complémentarité entre George Daniels et Cecil Clutton (1909-1990). Ce dernier, grand esthète et collectionneur de montres, pendules et même de voitures, a su développer une connaissance aiguë de l’histoire de la mécanique horlogère. Par ailleurs, les révisions régulières de ses propres montres de poche le poussant à côtoyer les meilleurs horlogers du moment, installés en Angleterre ou à Paris. Il fera d’ailleurs la rencontre dans la capitale française d’un jeune « apprenti » du métier: un certain François-Paul Journe.

« Watches » alterne ainsi faits et considérations historiques avec la précision du détail horloger. Et c’est précisément l’un de ses grands intérêts. La structure même de livre reprend cette dichotomie.

Les cent premières pages sont dédiées à l’histoire de la montre mécanique de 1500 à la fin du XXe siècle. Les auteurs étayent leur présentation par une riche sélection de 387 montres -présentées en noir et blanc. Cet ensemble est composé de pièces emblématiques vraiment exceptionnelles.

De nombreux talents horlogers sont évoqués. Leurs apports à l’aventure de la précision chronométrique sont clairement détaillés. Parmi eux se démarquent John Arnold et Thomas Mudge, comme le soulignent les auteurs : « C'est à partir du chronomètre de marine que la montre de précision a été développée et, au cours de sa première décennie, son seul champion sérieux a été John Arnold. Cependant, au cours du quart de siècle précédant la fabrication de la première montre de précision en 1773, cinq personnalités très différentes (...) ont apporté une contribution essentielle à l'émergence finale d'une montre de poche précise : John Harrison, Thomas Mudge, Pierre Le Roy, Ferdinand Berthoud et John Arnold. »1

 

Bien plus qu’un livre historique

La première section historique du livre « Watches » justifierait à elle seule cette quatrième édition. Mais l’essai de Clutton et Daniels ne s’arrête pas à ce brillant résumé de près de quatre siècles de découvertes. Les auteurs apportent également d’autres éclairages savants. Ainsi, en fin d’ouvrage, le lecteur trouvera un précieux lexique des termes essentiels à la bonne compréhension de la mécanique horlogère, notamment les différents types d’échappements. Il est curieux de noter, à ce sujet, que l’échappement à ancre (suisse) - le plus utilisé en horlogerie de nos jours -se traduit en anglais par « lever escapement », littéralement « levier d’échappement ». La terminologie britannique souligne assez bien, pour ne pas dire mieux, le rôle joué par l’organe réglant.

 

Les notes biographiques illustrent aussi l’étendu de la bibliothèque personnelle de Clutton et de Daniels. Ceux-ci décideront dans l’appendice d’expliquer en quelques lignes la contribution de chacun des horlogers et des marques citées. Cette vision panoramique organisée par ordre alphabétique se révèle extrêmement utile.

 

Enfin, autre avantage, et non des moindres, la deuxième grande section du livre « Watches » est dédiée à la technique horlogère. Nous quittons ici la logique chronologique pour rentrer dans le détail des inventions : tourbillon, montres automatiques, système antichoc, répétitions et bien sûr, échappements, soit un sous-chapitre qui occupe la plus grande partie de cette section. Le lecteur naviguera entre les différentes démonstrations techniques avec d’autant plus de facilité que le texte renvoie systématiquement à des exemples illustrés de montres, soit en couleur (en début de livre) ou en noir et blanc (en fin de livre). Une simple référence en marge (en chiffres romains pour la couleur et en chiffres arabes pour le noir et blanc), permet de se reporter immédiatement à la montre analysée.

 

Notes finales

Ce livre « Watches » est un indispensable dans la bibliothèque de tout amateur d’horlogerie. Néanmoins, nous signalons ici quelques éléments à améliorer pour une éventuelle nouvelle édition, qui n’enlèvent en rien à l’érudition de l’ensemble.

1.     En premier lieu, nous aurions apprécié quelques citations originales des ouvrages mentionnés ou même des extraits de la riche correspondance de certains horlogers. Ces textes rédigés par les acteurs de la grande aventure horlogère enrichissent une étude historique et lui offre une contextualisation souvent émotionnelle. Lire John Arnold, Ferdinand Berthoud ou Thomas Mudge par exemple, permet de mieux comprendre les personnes et ne pas s’arrêter à une liste de dates ou d’inventions.

2.    En second lieu, l’illustration de schémas dessinés des principaux échappements auraient pu également aider voire renforcer la bonne compréhension de cette section « technique », un peu plus dense par définition.

 

Le livre « Watches » s’adresse avant tout aux collectionneurs et professionnels. Il fournit une somme d’informations tout à fait exceptionnelles pour une meilleure compréhension de l’écosystème horloger contemporain.

Il saura sans aucun doute susciter la curiosité des amateurs de belle horlogerie et d’histoire. Car il se présente comme une synthèse entre faits historiques et innovations technologiques. Les auteurs évoquent ainsi, certains détails tout à fait surprenant. Ils considèrent par exemple que John Arnold a devancé technologiquement Ferdinand Berthoud en introduisant des rubis dont l’utilisation a permis de réduire drastiquement les frottements des rouages. Une innovation impossible pour l’époque, en France, où le rubis, en tant que matière première n’était vraisemblablement pas disponible. Pour quelle raison ? Clutton et Daniels n’entreront pas dans le détail ce qui fait de « Watches » un point de départ vers de nouvelles recherches horlogères.

Cet ouvrage de référence n’est disponible qu’en anglais… Avis aux éditeurs francophones !

Editeur : Philip Wilson Publishers Ltd / Bloomsbury.

Prix : £85.50 directement chez l’éditeur (livraison uniquement en Angleterre) ou £95.00 sur les plateformes de vente en ligne.

ISBN: 9781781301135 ; Nombre de pages: 320 ; Poids: 2264 g.

 

Notes, citations choisies et table des matières :

1 Version originale, page 44 : « It is from the marine timekeeper that the precision watch was developed and in its first décade its only serious champion was John Arnold. However, in the quarter-century before he made its first precision watch in 1773, five very different personalities (...) made an essential contribution to the final emergence of an accurate pocket watch: John Harrison, Thomas Mudge, Pierre Le Roy, Ferdinand Berthoud and John Arnold. »

 2 Quelques citations, au gré de notre lecture :

« The earliest dated watch is French a spherical shape, in the Louvre at Paris, by Jacques de la Garde, of Blois, dated 1551 ». Page 30.

« It is very unlucky that we know so little about the fifteenth-century Italian Watches. Since the cultural connexions between Italy and France were so strong it is fair to assume that the French Watches followed the Italian model ». Page 32

« More significant was the « cross-beat » escapement invented by Jost Burgi (1552-1632) in about 1580.Although the escapement could have been applied to a watch, this is not known ever to have been done until a practically identical escapement was re-invented almost a century later by Robert Hooke ». Page 35

« The invention and development of the balance-spring nark the turning point in the history of the watch. What has previously been little more than a rich man’s ornamental toy became suddenly a scientific instrument, capable of running accurately within two minutes a day. In the story of it, the names Robert Hooke, Christian Huygens, Thomas Tompion and Isaac Thuret figure prominently ». Page 35.

« It is from the marine timekeeper that the precision watch was developed and in its first decade its serious champion was John Arnold. However, in the quarter-century before, five very different personalities (…) made an essential contribution to the final emergence in 1773 of an accurate pocket watch : John Harrison, Thomas Mudge, Pierre le Roy, Ferdinand Berthoud and John Arnold ». Page 44.

« In quantity, Berthoud’s production is small. By 1787 he claimed to have made forty-five marine timekeepers.

« Many famous makers trained with and then worked for Breguet. When they left and set up they own they seem always to have done so with Breguet’s good will. Among these were Audemars, Benoît, Fatton, Firche, Ingold, Urban Jurgensen, Kessels, Laissieur, Lopin, Moinet, Mugnier, Oudin, Rabi, Ressevier, Robert, Tavernier and Winnerl ». Page 66

“Basse-taille” is perhaps the most elegant form of enamel decoration as applied to watch case. It consists of a coloured, transparent enamel on a chiselled or engine-turned gold ground ». Page 83.

 

Table des matières :

Foreword by Jonathan Betts
Preface
Colour Plates

HISTORICAL
Mechanical 1500-1750
The invention of Watches
Fusee and stackfreed
The movement and its decoration up to 1675
Mean time regulation before the balance spring
General characteristics and national styles
The balance spring 1675-1700
The movement 1675-1700
The movement 1700-1750
Decoration of the movement 1675-1700

The beginnings of the precision watch and the modern watch
The formative years of the precision watch
John Harrison
Pierre Le Roy
Ferdinand Berthoud
John Arnold
Thomas Mudge
Josiah Emery
Abraham-Louis Breguet
Thomas Earnshaw
The birth of the modern watch: Lepine and Breguet

The development of the watch since 1800
Decorative
Types of decoration
Enamel
Style of watch cases and dials up to 1750
Some unusual forms of dial
Styles of watch cases and dials 1750-1830

Performance of early Watches

TECHNICAL
Introduction
Shock-proofing
Tourbillons
Escapements
Verge
Cylinder
Virgule
Duplex
Chronometer
'Échappement naturel'
Lever
Robin
Debaufre
Fasoldt
J. F. Cole rotary detent
Repeaters
Clock-Watches
Self-winding Watches
Stop-Watches and chronographs

Monochrome plates

APPENDIX
Biographical notes
Glossary of technical terms
Bibliography
Acknowledgements
Index

 

 

 

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