« Le cadran détermine la beauté et la valeur d’une montre ». Dr. Helmut Crott, auteur du best-seller 'Le Cadran'.

 

Dans les cercles restreints des commissaires-priseurs, le Docteur (Dr.) Helmut Crott est une légende. Spécialiste des ventes aux enchères horlogères depuis plus d’un demi-siècle, il a longtemps mis ses services à disposition de particuliers ou d’institutions privées. Il est aussi pour beaucoup, l’auteur du livre « Le Cadran », un Opus riche d’enseignements pratiques et un outil d’aide indispensable à l’authentification d’une montre. Échange.

Texte: Hubert de Haro / HDH Publishing. Avril 2024. 

 

 

Le livre du Dr. Crott est bien plus qu’un nouveau livre d’horlogerie. Singulier à plus d’un titre, c’est le premier ouvrage qui aborde le cadran. Étonnant, non ? C’est aussi une formidable boîte à outils où le lecteur pourra puiser selon les besoins du moment. « Richement illustré », selon la formule désormais consacrée, Helmut Crott a réussi iciun coup de maître : informer – ou plutôt enseigner – sans ennuyer. Après une première publication épuisée en quelques semaines, la dernière réédition de 2023 (disponible en anglais et en français) s’avère déjà difficile à trouver. Ce « best-seller » remédie à une absence incompréhensible dans une vaste bibliographie horlogère où abondent les ouvrages mono-marques et les œuvres dédiées à la chronométrie.

 

En haut : marqueterie de plume sur cadran Corum (1970). En bas : marqueterie de pierre et de nacre sur cadran Cartier (1990). @ Helmut Crott, livre « Le Cadran », page 261.

 

« J’ai appris, et c’est pour moi devenu une certitude, que le cadran est un critère fondamental, déterminant de la beauté et de la valeur d’une montre ». Par ces mots énoncés dès les premières lignes de son ouvrage, Helmut Crott redonne au cadran un protagonisme trop longtemps éclipsé par la technique horlogère. Méthodiquement présenté en trois chapitres (l’histoire du cadranier Stern, la fabrication du cadran et enfin une sélection de cadrans classiques et légendaires), l’auteur prend par la main, sans toutefois le brusquer, le lecteur pour mieux l’inviter à saisir toutes les nuances esthétiques qui séparent un cadran grené, d’un cadran opalin ou sablé. L’azurage, les appliques cabochonnées ou encore le zapon et la crème de tartre se révèlent au curieux, comme un merveilleux répertoire stylistique d’un langage oublié par tous. Helmut Crott ouvre ici la voie d’une nouvelle culture horlogère.

 

Prototypes de cadrans Stern Frères et Stern Créations. @ Helmut Crott, , livre « Le Cadran », pzge 10.

 

Hubert de Haro : Pourquoi le cadran, est-il si important pour un collectionneur ? Helmut Crott : Lorsque vous regardez une montre, votre regard se porte d’abord sur le cadran. À l’image de la carrosserie d’une voiture, le cadran est le premier élément majeur qui se dévoile. Il reflète la culture et le goût, du collectionneur.

 

Votre ouvrage se divise en trois parties distinctes : l’histoire de la famille Stern suivie d’une section plus technique et enfin, d’une analyse détaillée de 38 cadrans de modèles emblématiques du XXe siècle. Fréderic Burri, ancien chef de projet chez Stern Créations s’est chargé du contenu et de la structure de la seconde partie. Pourquoi avoir choisi d’approfondir autant, les méthodes de fabrication et de décoration d’un cadran ?

Comme en histoire de l’art, à chaque époque correspond des méthodes de fabrication et des indicateurs de styles spécifiques. Connaître dans le détail ces différences parfois infimes, permet de juger si un cadran est d’origine ou s’il a été mal restauré ou échangé. Prenez l’exemple de la montre Patek Philippe référence 1518 datant de 1940. À l’époque, son cadran était en général, satiné, gravé et émaillé.  En revanche, à partir de 1980, les cadrans de cette double complication QP et Chronographe (référence 3970) étaient plutôt sablés. Sachant cela, vous pouvez dater un cadran, même si souvent, des anachronismes se commettent.

 

À gauche : décor de centre panier (en haut) et décor de filet de crémaillère (en bas), tous deux réalisés à l’aide d’une machine à guillocher à courbe. Montre Patek Philippe tonneau galbé datant de 1908. À droite : décor clous de Paris (en haut) et crémaillère (en bas). Machine à guillocher à ligne droite et à courbe pour montre Breguet réf. B1772 (1955). @Helmut Crott, livre « Le Cadran », page 222.

 

Nous touchons ici, à la grande singularité de votre livre : ébaucher les prémisses d’une culture visuelle du cadran, observé non pas à travers le prisme du designer mais à travers celui du cadranier. Vous échafaudez ainsi, au fil de centaines de pages, un répertoire inédit, à l’adresse du collectionneur.

Durant ma longue carrière professionnelle, j’ai eu le bonheur d’observer et d’évaluer des milliers de montres bracelet et de montres de poche, pour des maisons aux enchères et des collectionneurs privés. Progressivement, j’ai acquis la conviction que la connaissance approfondie des techniques de construction d’un cadran contribue à distinguer le vrai du faux. Par exemple, des appliques Breguet bombées ne peuvent pas exister dans une montre des années 40 ou 50. À l’époque, les cadraniers respectaient une certaine mode des appliques polies plates. Autre exemple : dans une montre Rolex Prince de 1940, je m’attends à trouver un grené et non un cadran sablé. Je suis allé encore plus loin pour distinguer le vrai du faux en mettant en place une base de données de toutes les montres Patek Philippe vendues aux enchères dans le monde entier, et ce, depuis les années 1960. Cette mission est devenue une obsession, dévorant mes vacances et mes week-ends, car je ne me suis pas limité à recenser les montres par leur valeur de marché, leur référence et leur numéro de mouvement. J’ai aussi, décrit et consigné soigneusement toutes les informations visuelles disponibles.

 "La connaissance approfondie des techniques de construction d’un cadran contribue à distinguer le vrai du faux."

Le maître horloger Derek Pratt creuse compteurs et filets à l’aide d’un burin fixe (1990). @Helmut Crott, livre « Le Cadran », page 209

 

 

Ce travail colossal, a-t-il été à l’origine de votre projet éditorial ?

Oui. Ma base de données Patek Philippe m’a conduit vers l’idée même de ce livre. Dès les premières semaines du travail, je me suis rendu à l’évidence que je devais également, répertorier l’ensemble des informations disponibles du cadran : la couleur précise, le ou les types de décorations utilisés, les finitions, la forme des appliques … enfin, tout ce que je jugeais être indispensable à l’identification de la montre.

"Ma base de données Patek Philippe m’a conduit vers l’idée même de ce livre."

Par la suite, la direction du producteur de cadrans Stern Frères a mandaté ma société - TheSourceTechdata – pour inventorier leurs archives, un patrimoine unique à sauvegarder à tout prix. Comme fournisseur quasi exclusif de la maison Patek Philippe, depuis les années 1900 jusqu’aux années 1960, les feuilles de fabrication Stern Frères recélaient des informations remarquablement détaillées. Non seulement toutes les finitions d’un cadran étaient listées, mais aussi le type d’appliques et de pièces rapportées. Un vrai trésor.

Ce qui m’a permis, enfin, de mieux comprendre les choix économiques de la société Stern. À titre d’exemple, la fermeture du Département Émail en 1957 a incité les dirigeants à développer de nouvelles alternatives. Dans ce contexte, la société Stern a acquis les anciens ateliers de cadrans semi-précieux de Piaget, à Lonay, près de Lausanne. C’est là que l’ancien directeur technique de Stern, René Baeriswyl, a mis au point des méthodes innovantes dont les nouvelles ébauches en chrysocale ou le perçage des pierres et des ébauches par ultra-son. À partir de 1981, ce département est progressivement devenu une des colonnes vertébrales de la nouvelle société Stern Créations – successeur de Stern Frères après sa faillite.

 Cadran lapis-lazuli. Rolex réf. 1601 Datejust. @ Helmut Crott, livre « Le Cadran », page 356

 

Ce mandat vous a entre autres, mis en contact avec plusieurs responsables de Stern Créations qui deviendront des sources d’informations clefs pour élaborer votre livre.

Le projet initial du livre remonte à 2007, soit plus de dix ans avant sa première édition. Mes échanges avec les anciens directeurs de Stern Frères et Stern Créations – André Collard, Roland Tille et René Baeriswyl, sans oublier le chef de projet Frederic Burri – ont servi de socle à l’élaboration de l’ouvrage. Les trois dernières années précédentes la publication, j’ai consacré une moyenne de deux à trois jours par semaine à Genève pour recueillir ces témoignages. La masse d’informations était telle que je me suis senti parfois débordé par la tâche.

 

 

Roland Tille (à gauche), Helmut Crott (au centre) et René Baeriswyl (à droite), dans le hall d’entrée de Montres Journe, à Genève.

 

 

Les maisons aux enchères se heurtent parfois à un dilemme redoutable : accepter en l’état une montre potentiellement intéressante, mais dont le cadran a subi l’usure du temps ou, la faire restaurer. Êtes-vous favorable à une restauration systématique ? Dans quelle mesure ce « rafraîchissement », implique-t-il une éventuelle dévaluation de la montre ?

Je conseille aux collectionneurs de toujours bien réfléchir avant de prendre la décision de restaurer. Comme je l’explique dans mon livre, je conçois cependant plusieurs niveaux de restauration. Dans tous les cas de figure, un cadran rafraîchi ne devrait pas s’éloigner de son état d’origine. Une restauration exécutée dans les règles de l’art, c’est-à-dire respectueuse des méthodes de la fabrication originelles du cadran préserve la valeur de la montre. En ce qui me concerne, j’analyse d’abord l’état des appliques. En effet, si la restauration peut les maintenir sur le cadran, il ne doit pas y avoir de décote. En revanche, si le cadran est vraiment trop abîmé, retirer des appliques entraîne nécessairement, le décollement du zapon (ndlr : pellicule de protection) et donc, des décalques des chiffres ou des tours d’heures, de minutes, ou de secondes… Seule l’utilisation de clichés de l’époque ou un travail remarquable du cadranier peut garantir la qualité de résultat.

"Je conseille aux collectionneurs de toujours bien réfléchir avant de prendre la décision de restaurer. "

J’ai récemment contacté les « Cadraniers de Genève » (ndlr : installés à Meyrin, propriété de l’horloger François-Paul Journe) afin de restaurer un chronographe vintage Patek Philippe d’une grande valeur car ils sont à mon sens, les dignes successeurs de Stern Frères. Suivant mes directives, et après de nombreux échanges, l’équipe s’est résolue à usiner près de cinquante clichés de décalque différents pour réaliser une nouvelle échelle de tachymètre. Le coût final s’est élevé à plus de dix mille francs, bien au-delà de l’estimation initiale. La restauration est un travail d’orfèvre que très peu de cadraniers sont en mesure de mener à bien.

 

"J’ai récemment contacté les 'Cadraniers de Genève' (ndlr : installés à Meyrin, propriété de l’horloger François-Paul Journe) afin de restaurer un chronographe vintage Patek Philippe d’une grande valeur car ils sont à mon sens, les dignes successeurs de Stern Frères."

Le troisième chapitre de votre livre dévoile les secrets de fabrication de 38 modèles iconiques du XXe siècle. Chaque cadran de montre, rigoureusement analysé et merveilleusement documenté, se révèle d’une grande complexité. Quels critères avez-vous retenus pour composer cette liste ?

Tout d’abord, j’ai souhaité illustrer l’ensemble des méthodes de fabrication présentées dans le chapitre précédent. C’est un peu comme si j’invitais le lecteur à des travaux pratiques, après avoir suivi un cours magistral. Chacun peut s’amuser à deviner les techniques avant de lire mon analyse. J’ai aussi eu à cœur de représenter chaque singularité historique. Enfin, je me devais de choisir les grandes icônes horlogères : la Rolex Daytona Paul Newman, la Patek Philippe Nautilus, l’Audemars Piguet Royal Oak…

 Cadran d'une montre Patek Philippe Calendrier perpétuel Chronographe réf. 3970 (1990). À droite: guichets biseautés et index légèremetn cabochonés, compteur azuré en colimaçon sur deux niveaux.

 

J’ai surtout souhaité décrypter le monde du cadran par l’exemple, l’image, mais également par le partage des nombreuses complexités techniques qui nous font tous, adorer cet extraordinaire expression des arts mécaniques.

 

 

 

Légende de la première photographie:

Disque de lune en or, émail brut (ni lapidé, ni poli) opaque noir champlevé, gravé main. Rolex « Bao Dai » 1952 réf. 6052. @ Helmut Crott, livre « Le Cadran », page 265

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