Les très riches heures de Laurence Reibel, conservateur du Musée du Temps de Besançon.
HISTOIRE DE LA MESURE DU TEMPS
Le Musée du Temps (MdT) mérite à lui seul le déplacement à Besançon, capitale incontournable de l’horlogerie française. Inaugurés en 2002, les trois étages de l’étonnant palais renaissance Granvelle recèlent de multiples trésors. Le parcours scénographique s’articule autour d’un temps pluriel, tantôt scientifique, technique ou encore artistique et s’adresse à un large public. Décryptage des collections avec Laurence Reibel, conservateur (–trice) des lieux.
Hubert de Haro / HDH Publishing, pour le magazine de l’horloger parisien Antoine de Macedo. Septembre 2023. 5 min de lecture.
La France dénombre un réseau de plus de 1200 « Musées de France ». Même si cette appellation recouvre des réalités territoriales distinctes, leurs missions ont été définies très précisément par l’État en 2002. Les collections, placées désormais sous la responsabilité des Directions régionales des affaires culturelles (la DRAC), sont régies localement. Les choix en matière de conservation, de restauration et d’acquisition de nouveaux biens dépendent uniquement des structures régionales. Dans ce contexte, l’histoire de la ville de Besançon et son lien intime avec la mesure du temps ont bénéficié de ce nouveau cadre législatif pour mettre en valeur des collections uniques en Europe.
Hubert de Haro (HDH) : En quoi consiste la mission de Conservateur du Musée du Temps (MdT) ? Laurence Reibel (LR) : Il s’agit de conserver les collections, les étudier, les valoriser et les enrichir. Je porte donc la responsabilité scientifique du Musée. On attend également de moi, de proposer et de mettre en place des expositions thématiques dont les sujets sont toujours en relation avec nos collections. Pour ce faire, je suis entourée d’une équipe très motivée composée de six personnes. Enfin, je gère les aspects logistiques du bâtiment (climatisation, électricité…). Par ailleurs, le MdT fait partie de la direction des musées du centre (70 personnes) qui regroupe le Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie et le Musée du Temps avec des services transversaux comme l’administration, la technique, la communication et la médiation.
"Ma mission est de conserver les collections, les étudier, les valoriser et les enrichir. Je porte donc la responsabilité scientifique du Musée. On attend également de moi, de proposer et de mettre en place des expositions thématiques dont les sujets sont toujours en relation avec nos collections."
HdH : Le MdT est un musée hybride, stratifié, qui explore des thématiques voisines — l’histoire de la mesure du temps, la tradition horlogère franc-comtoise, le patrimoine architectural exceptionnel des lieux — mais également le rapport à la ville de Besançon. À qui s’adresse-t-il en particulier ? LR : Le MdT accueille environ 40 000 personnes chaque année. Au-delà du chiffre, l'une des ambitions communes à l’ensemble des musées de Besançon est d’être ouverts à tous. Nous avons, par exemple, une personne chargée des publics en situation de handicap. Tous les musées ne font pas ce choix. Une autre collègue accompagne les publics ayant peu de contact avec la culture : les femmes victimes de violence, les migrants ou encore les prisonniers. Et enfin, bien sûr, le public scolaire. En période estivale, le MdT attire des touristes qui s’intéressent au musée d'histoire locale ainsi que, plus spécifiquement, au thème du temps et de sa mesure.
"Le MdT accueille environ 40 000 personnes chaque année. Au-delà du chiffre, l'une des ambitions communes à l’ensemble des musées de Besançon est d’être ouverts à tous."
HdH : Comment les collections sont-elles présentées au public ? LR : En trois catégories : l'histoire de la ville et de la région, celle des instruments de la mesure du temps et enfin le temps sous sa forme symbolique. Nous mettons ainsi en regard des tableaux de vanités - qui soulignent la fragilité de la vie et le temps qui nous échappe - avec la course incessante à la précision dans la mesure du temps.
HDH : Face au très large catalogue de pièces conservées au MdT, quelles mesures mettez-vous en place pour restaurer ces mécaniques d’art ? Est-il raisonnable d’espérer les voir toutes en bon état de marche ? LR : En 2002, L’État français s’est doté d’un nouveau cadre législatif et a adopté l’appellation « Musées de France ». Le MdT s’insère dans ce large réseau constitué d’environ 1000 établissements. Concernant la restauration, il s’agit d’œuvrer pour conserver, autant que faire se peut, l’état originel de chaque artefact. La démarche scientifique impose alors de tout documenter. Dans ce contexte, nous ne mettons pas systématiquement en mouvement nos montres et horloges. D’abord, parce que cela n’apporterait rien de plus en termes d’indication horaire, partout présente autour de nous. De plus, cela obligerait à les réviser tous les cinq ans. Nous restaurons donc pratiquement toutes nos horloges et montres « à sec », c’est-à-dire en retirant les huiles pour mettre les mécanismes à l’arrêt.
"En 2002, L’État français s’est doté d’un nouveau cadre législatif et a adopté l’appellation 'Musées de France' . Le Musée du Temps s’insère dans ce large réseau constitué d’environ 1000 établissements."
HDH : Les écoles d’horlogerie – notamment celle de Morteau — sont-elles impliquées dans la manutention de ce patrimoine mécanique unique ? LR : J’aimerais que dans le cadre des formations horlogères, les élèves puissent venir voir plus souvent les objets de nos collections. En revanche, nous ne pouvons pas les laisser intervenir sur les pièces. Cela ne remet pas en cause l’excellence et l’importance de ces apprentissages techniques et la qualité des enseignements. À Morteau, par exemple, l’un des professeurs, Thierry Ducret, est meilleur ouvrier de France.
HDH : Le palais Granvelle est un symbole du patrimoine de la ville de Besançon. Quels sont ses atouts, ses contraintes architecturales en termes d’accessibilité ou lors de « mise en scène » spéciales pour des expositions thématiques ? LR : le palais a été en restauration durant toute la deuxième moitié du XXe siècle, jusqu’à l’inauguration en 2002 du musée du Temps. L’année dernière, nous avons fermé pendant huit mois pour retravailler l'accessibilité aux personnes en situation de handicap. Ce palais du XVIe siècle est bien entendu un cadre de travail très attachant.
HDH : Vous avez collaboré à l’élaboration de la candidature des “savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d'art de l’arc jurassien”, afin d’intégrer la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. En quoi consistaient les principales étapes ? La décision favorable prise par l’Unesco le 16 décembre dernier, a-t-elle eu un impact positif sur le nombre de visiteurs au MdT ? LR : L’initiative revient à la Suisse qui a proposé à la France de présenter une candidature transfrontalière portée par l’arc jurassien franco-suisse. De nombreux groupes de travail se sont alors formés entre les deux pays et une centaine d’horlogers ont été impliqués dans une très belle dynamique, ce qui nous a encore plus rapprochés de part et d’autre de la frontière. Le 16 décembre 2020, en rendant son verdict, l’Unesco a d’ailleurs souligné la forte identité et la continuité horlogère du territoire de l’Arc Jurassien. Cela a été pour moi un moment magique. Aujourd’hui, l’inscription à l’Unesco se matérialise par la création en cours d’Arc horloger, une association franco-suisse en charge de l’ensemble des projets de valorisation des savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art de l’Arc Jurassien. Sa première action concrète a été une exposition conjointe entre le MdT et le Musée International de l’Horlogerie de la Chaux-de-Fonds : six photographes, choisis après concours, ont eu pour mission de photographier les gestes et les cadres de travail des horlogers du territoire, afin d’offrir une vision artistique et non documentaire de ce patrimoine vivant. L’Arc horloger vise avant tout à promouvoir la transmission en favorisant, par exemple, des moments d’échanges et de formations, le tout dans un objectif non mercantile, mais de sauvegarde des connaissances.
"L’inscription à l’Unesco se matérialise par la création en cours d’Arc horloger, une association franco-suisse en charge de l’ensemble des projets de valorisation des savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art de l’Arc Jurassien."
HDH : Quel est votre plus beau souvenir au MdT ? LR : Notre dernière exposition thématique sur l’artiste alsacien Tomi Ungerer, Strasbourgeois (comme moi). Pour la première fois, nous avons évoqué son riche héritage familial horloger.
HDH : Pouvez-vous nous dévoiler la thématique de la prochaine exposition ? LR : Il s’agit de “Lip.ologie”. Cette exposition ouvrira en novembre prochain et explorera la place unique de la marque Lip dans l’histoire de l’horlogerie française. Nous possédons d’ailleurs dans nos collections, un fond important de montres et de documentation acquises peu après la fermeture de la marque.
"L'exposition 'Lip.ologie' ouvrira en novembre prochain et explorera la place unique de la marque Lip dans l’histoire de l’horlogerie française. "
Petit questionnaire de Proust :
Date et lieu de naissance : février 1969 à Strasbourg.
Formation : Baccalauréat en biologie, puis conservatoire de Strasbourg et faculté de musicologie pour bifurquer ensuite vers une maîtrise en muséologie.
Date d’entrée au Musée du Temps : septembre 2006. Je suis officiellement conservateur et chef d’établissement depuis 2014, après avoir été admise au concours de conservateur des musées de France.
Ce mandat, a-t-il une échéance ? Non. Dans la fonction publique territoriale, c’est la ville ou la tutelle territoriale qui choisit ses conservateurs. Pour changer de poste, le conservateur doit lui-même trouver un nouveau musée en répondant aux offres d’emplois.
Quelle montre portez-vous au quotidien ? Je possède quelques montres mécaniques Lip mais n’en porte pas au quotidien.
Quelle est celle dont vous rêvez ? Une pendule Atmos des années 1940/1950.
Bibliographie horlogère ? « L’heure qu’il est » de David Landes.
Votre musée préféré ? Le Musée des Arts et Métiers à Paris. Pendant six mois, à l’occasion d’un stage, j’ai eu le privilège d’être en contact au quotidien avec ses très riches collections en réserves.
Le voyage parfait ? À vélo, de Besançon à l’Atlantique, par l’Euro-véloroute.
Si vous n’étiez pas conservatrice au MdT ? J’adorerais écrire un polar… même si je n’en ai pas les compétences.
Si vous aviez deux heures de plus par jour, que feriez-vous ? Lire.
Si vous étiez un homme, pensez-vous que cela aurait eu ou aurait de l’importance dans votre carrière professionnelle actuelle ? Je n’aurais peut-être pas cherché un poste à responsabilité. Cela a certainement été une manière de m’affirmer. Cela dit, même si les femmes sont majoritaires dans la culture, les hommes continuent souvent de diriger…
La sélection de Laurence Reibel :
Parmi les 1 500 montres, ébauches et boîtes, la centaine d’horloges de parquet, comtoises et pendules, les gravures ou encore les outils, machines, et matériels scientifiques, quelles seraient les 12 « Joconde » qui composeraient votre parcours idéal pour tous, et qui justifieraient le voyage à Besançon ?
01 | Louis LEROY | Leroy 01 | 1904 | Emblème du Musée du Temps, cette montre de poche fut commandée en 1897 par l’entrepreneur portugais António Augusto Carvalho Monteiro (1848-1920). Ce chef-d’œuvre mécanique a exigé au maître-horloger Louis Leroy sept années de recherche pour aboutir à un assemblage final à Besançon, consacrant au passage la ville, capitale de l’horlogerie française. Son boîtier en or massif, d’une épaisseur de 3 cm, protège 975 pièces pour 24 complications, dont l’affichage du ciel étoilé de Paris, Lisbonne ou Rio, ainsi que l'indication de la température et de l'altitude. Acquise en 1957, elle sera la montre la plus compliquée au monde jusqu’en 1989. Inventaire Nº 1957.11. © Collection du musée du Temps de Besançon.
02 | Nicolas HANET. Pendule, vers 1660 © Collection du musée du Temps de Besançon.
04 | L’horloger Antide JANVIER démontre sa parfaite maîtrise horlogère dans la réalisation d’un étonnant pendule planétaire. La course des astres est mécaniquement simulée dans cet objet de décoration unique datant du début du XIXᵉ siècle et acquis en 1975. Inventaire Nº 1975.15.1 © Collection du musée du Temps de Besançon.
07 | Un réveil pistolet, anonyme, datant du XVIIe siècle © Dépôt du musée du Louvre.
09 | Jan LIEVANS. Enfant à la bulle de savon, vers 1645. © Collection du musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon. Photo : Charles Choffet.
12 | Charles LE ROY, 4ᵉ quart du XVIIIe siècle. ‘Montre en or poli avec échappement à virgule, signée « Le Roy, Galerie de Légalité N 88 ». Elle a été produite pendant la Révolution française, alors que le Palais-Royal où Charles Leroy était installé, avait changé de nom. Le cadran comporte un cercle horaire de douze heures et les phases de la Lune, ainsi que l'indication du quantième et de la décade révolutionnaires. Même si elle possède un affichage de l'heure duodécimal, cette montre est grandement inspirée du calendrier révolutionnaire qui a instauré pendant quelques années, les mois de trente jours, eux-mêmes constitués de trois décades, ou semaines de dix jours.’ © Collection du musée du Temps de Besançon.
Légende photographie principale: Musée du Temps Extérieur nuit © Pierre Guenat