Rolex Cosmograph Daytona « Paul Newman » (II): sept conseils pratiques pour démasquer les imposteurs...
Après avoir décrypté ensemble le contexte historique de l’appellation (d’origine très contrôlée…) « Cosmograph Daytona Paul Newman » (lire « Rolex Cosmograph Daytona « Paul Newman, destinée à conquérir le Cosmos, immortalisée sur les circuits »), venons-en au plat de résistance. Comment distinguer les modèles « Paul Newman » des dizaines de Rolex Cosmograph produites par Rolex depuis 1963 ? Quelles sont leurs caractéristiques esthétiques spécifiques ? Pourquoi ce chronographe, est-il devenu un incontournable de l’horlogerie moderne ? Quels indices nous permettent de séparer le bon grain de l’ivraie, le vrai de la copie ?
Texte : Hubert de Haro (HDH Publishing) pour le magazine digital d’Antoine de Macedo (février 2024).
MONTRES DE LÉGENDE, DÉCRYPTAGE.
« Si je n’avais pas été un acteur ou un réalisateur de film,
je crois que j’aurais aimé plus que tout au monde, être un pilote de course. »
Paul Newman.
De leur création en 1963 jusqu’à l’année 1988, marquée par le remplacement des mouvements manuels Valjoux 722 au profit des mouvements automatiques Zenith El Primero », l’esthétique générale des chronographes Rolex Cosmograph Daytona est restée remarquablement homogène. En un quart de siècle, le dessin de la boîte a très peu varié. Seuls les poussoirs des deux dernières versions étanches, 6263 et 6265, sont équipés de couronnes vissées. De même, la couronne principale, également vissée, est restée pratiquement inchangée depuis les premières 6239.
C’est probablement là que réside la clef de l’immense succès de la marque Rolex en général, et de ses modèles de chronographes en particulier : les codes visuels sont rarement retouchés, le moins possible ou avec une extrême parcimonie. Alors, pourquoi est-il si intéressant d’étudier en profondeur, les cadrans exotiques, dits « Paul Newman » ? Tout simplement parce que leur valeur sur le marché secondaire est, selon les modèles, multipliée par deux, trois, voire dix, par rapport à la même montre équipée d’un cadran « originel » non exotique. Et que ce succès a engendré de très nombreuses contrefaçons.
La vaste littérature sur le sujet permettra au curieux et/ou à l’observateur averti de distinguer sept éléments caractéristiques des cadrans Daytona « Paul Newman », et de détenir ainsi le moyen infaillible de les identifier grâce à notre guide pratique visuel. En route !
1. Un triumvirat indissociable
Les cinq première références Daytona « Paul Newman », 6239/6240/6241/6262/6264, affichent sur leurs cadrans TROIS inscriptions : ROLEX, COSMOGRAPH et DAYTONA. Cette caractéristique ne s’applique pas sur les toutes premières références 6239 et 6241 (à lire « Rolex Cosmograph Daytona « Paul Newman, destinée à conquérir le Cosmos, immortalisée sur les circuits »), ainsi que sur les deux dernières itérations 6263 et 6265 (à part quelques très rares cadrans noirs de la référence 6264 réutilisées sur des modèles 6263). Disposées verticalement, ces inscriptions sont distribuées dans un axe Nord-sud selon l’humeur voyageuse du « regardeur » : la marque ROLEX à 12 h 00 suivie, immédiatement en dessous, les noms COSMOGRAPH puis DAYTONA, en noir ou en rouge, à 6 h, juste au-dessus du compteur des heures.
Infographie "Comment distinguer une Daytona Paulo Newman". Data: Hubert de Haro; graphisme: Paulo Pires. @HDH Publishing.
Les deux dernières versions de la série « Paul Newman », les références 6263 et 6265, ont été agrémentées d’une quatrième inscription – OYSTER -, preuve de leur parfaite étanchéité, mais ont perdu la référence « Daytona ». Les passionnés les désignent sous le nom de ROC (Rolex Oyster Cosmograph) ou RCO (Rolex Cosmograph Oyster) selon que le mot Oyster se trouve entre Rolex et Cosmograph ou en dessous de Cosmograph. Il est généralement admis que Rolex a d’abord choisi une vingtaine de cadrans existants auxquels aurait été rajouté le mot « Oyster » pour les premiers exemplaires des références 6263 de 1970. Ce modèle, extrêmement rare, baptisé « Oyster Sotto » (traduction de l’italien : « Oyster en dessous »), a fait son apparition en 2013, lors de la vente Christie’s’ (lot 23) célébrant les 50 ans des Cosmograph. Pour soutenir cette thèse, la typographie utilisée pour Oyster est totalement distincte de celle utilisée pour le mot « Cosmograph ». Par la suite, de nouveaux cadrans d’origine ROC se sont généralisés.
Les références 6263 et 6265, ont été agrémentées de l'inscription "OYSTER ", preuve de leur parfaite étanchéité, mais ont perdu la référence « Daytona ».
2. Trois compteurs
Les trois compteurs du chronographe, disposés à 3, 6 et 9 h, présentent une typographie souvent qualifiée d’« Art Déco ». Les chiffres tout d’abord, mais surtout les plots en forme de petits carrés (trois pour le compteur des minutes à 3 h et huit pour les compteurs des heures et des secondes à 6 h et à 9 h) impriment la griffe « Paul Newman ».
Chaque compteur reçoit une décoration par gravure azurée, une finition traditionnelle en horlogerie reconnaissable à la dizaine de cercles ou sillons, allant décrescendo de la périphérie du compteur jusqu’à son centre.
Enfin, dernière caractéristique absolument essentielle : la marche ! Les trois compteurs du chronographe se trouvent emboîtés légèrement en dessous du niveau du cadran, d’où le terme de marche.
3. Décorations plurielles
Une texture en « grené » revêt dans son intégralité la surface du cadran, compteurs y compris. Cette technique de décoration est aujourd'hui aussi rare et que peu utilisée. Son rendu granuleux, obtenu par une méthode traditionnelle d’enlèvement de matière, offre néanmoins, un charme unique à ces cadrans.
4. Attention à la marche
Comme nous l’avons précédemment vu, le détail de la marche n’est perceptible qu’à la loupe. Autrement dit, comme une marche plus basse, les compteurs étampés ainsi que la minuterie (graduation des secondes distribuée sur le pourtour du cadran, à sa périphérie) se trouvent légèrement en dessous de la surface principale du cadran.
5. « T » le plus fort
Les montres techniques et sportives, à l’instar de la Rolex Submariner, se doivent de remplir leur fonction tant sous l’eau que dans la nuit. C’est également le cas des Cosmograph, équipés de radio-luminescence à base de tritium (pour tout savoir sur la phosphorescence, luminescence et radio-luminescence, lire « De la radio-luminescence au Swiss Super-LumiNova® : nos nuits seront plus belles que vos jours »). Les cadrans « Paul Newman » n’échappent pas à la règle avec une tampographie à 6 h « T-Swiss-T » pour le tritium appliqué en Suisse. Il se trouve à l’intérieur des aiguilles principales, ainsi qu’aux 12 index des heures, jalons sur la minuterie périphérique, accolés ou adossés aux plots polis. Les premières Cosmograph Daytona « Paul Newman » présentent l’inscription « T-Swiss-T » en forme de pyramide c’est-à-dire que les deux « T » embrassent le mot « Swiss » au centre, dont le corps de lettre va crescendo jusqu’au « i », puis rapetisse progressivement (sur les 2 dernières consonnes). À posteriori, cette indication sera tampographiée dans une taille plus petite sur les modèles de transition 6262 et 6264 et enfin sur les Oyster 6265 et 6263.
Les premières Cosmograph Daytona « Paul Newman » présentent l’inscription « T-Swiss-T » en forme de pyramide.
6. Plots des heures
Vraisemblablement en or, selon Helmut Crott, douze cubes polis sont distribués à intervalle de 5 minutes sur la minuterie périphérique. Sertis au cadran par pivotage central, ils ne présentent qu’un seul pied. La matière radio-luminescente ou tritium, appliquée manuellement à la base de chaque plot, évoque à s’y méprendre, de fines perles.
7. SG Singer
Tous les cadrans « Paul Newman » ont été produits par la Manufacture suisse « Jean Singer » (pour en savoir plus sur l’entreprise Singer, consultez notre interview de l’actuel propriétaire Joris Engish : « La beauté de notre métier réside dans la possibilité de mélanger toutes les catégories de finitions". Joris Engisch, administrateur de la Manufacture de cadrans Jean Singer & Cie SA »). Aujourd’hui centenaire, l’entreprise gravait systématiquement la signature « SG SINGER » au dos des cadrans Rolex.
On aime à penser que la typographie « Art Déco » si caractéristique de cette série « Paul Newman » a peut-être, été proposée par le cadranier à Rolex. En effet, dans les années 1960, les producteurs de cadrans imaginaient et développaient volontiers, en interne de nombreux échantillons, archivés ensuite dans des catalogues de ventes que leurs commerciaux proposaient aux très nombreuses fabriques de montres.
Conclusion : trier le grain de l’ivraie
À ce jour, la maison Rolex n’a jamais communiqué de détails sur sa production, laissant ainsi libre cours aux multiples interprétations bien souvent originales, lorsqu’apparaît un nouveau cadran « Paul Newman ». S’agit-il de prototypes ? De série limitée ? De réutilisation ou customisation d’anciens cadrans ? Ou tout simplement, parlons-nous de faux ? Les collectionneurs s’enthousiasment… les marchands affûtent leurs arguments dans une frénésie où spéculation et fascination authentique s’entrecroisent allègrement.
Prenez l’exemple des cadrans « Texas ». Il s’agit de Daytona « Paul Newman » dont les trois compteurs du chronographe sont au même niveau que le cadran. La rumeur veut qu’un détaillant Rolex installé au Texas ait commandé de tels cadrans en Suisse dans les années 1980, ce qui explique le nom de code « Texas ». Eric Wu, propriétaire du forum « Vintage Rolex » soutient qu’à l’époque, les Daytona Paul Newman « ne se vendaient pas pour un prix supérieur » aux cadrans traditionnels. Il est donc plausible qu’un détaillant ait effectivement équipé des Daytona originales, avec ces nouveaux cadrans, mais qu’elles n’aient pris de la valeur que bien plus tard ».
Autre exemple : les cadrans rouges « Paul Newman ». Avec leur apparition sur le marché, ces modèles pouvaient se négocier à plusieurs centaines de milliers d’euros. Pourtant, lorsqu’un collectionneur asiatique a décidé d’en avoir le cœur net, en demandant une révision à Rolex, le diagnostic, tel un couperet, a été catégorique : fausse Rolex.
Pourtant, ces mêmes Rolex Cosmograph Daytonas « Paul Newman » cadran rouge continuent à s’échanger pour des valeurs supérieures à 100 000 euros. Aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que ces modèles sont des contrefaçons, puisqu’ils n’ont jamais été produits – tels quels- par Rolex. Mais comme le conclut avec résignation Eric Wu : « J’en suis venu à la conclusion que les gens croient en ce qu’ils ont envie de croire, et il n’y aura rien que vous puissiez faire pour les faire changer d’opinion. De plus, pour certains, ces cadrans sont vraiment sympas ! »
« J’en suis venu à la conclusion que les gens croient en ce qu’ils ont envie de croire, et il n’y aura rien que vous puissiez faire pour les faire changer d’opinion. De plus, pour certains, ces cadrans sont vraiment sympas ! » Eric Wu.
Infographie "Comment distinguer une Daytona Paulo Newman". Data: Hubert de Haro; graphisme: Paulo Pires. @HDH Publishing.
Galerie des "exceptionnels":
Compositeur, guitariste et chanteur, John Mayer est également un grand collectionneur de montres, notamment une notablegalerie de Daytonas. Sa voix fait aujourd'hui autorité. Récemment, il a été au centre d'une controverse très médiatisée après avoir découvert que certaines de ses "rares" Daytonas étaient en fait des "frankesteins", habiement assemblés à partir de plusieurs éléments d'époque. Cela ne l'a pas dissuadé de continuer à collectionner des montres neuves et vintage.
Pour aller plus loin :
CROTT Helmut, « Le Cadran, visage de la montre bracelet au 20e siècle » (Deuxième édition, 2023).
GUÉROUX Fabrice, « Vrais et faux cadrans de Rolex Daytona Paul Newman : comment les distinguer ? », 41Watch.
KOH Wei, « The Paul Newman Daytona According to Eric Ku », Revolution (2017).
KOH Wei, « Paul Newman Daytonas: The Controversies », Revolution (2017).
WIND Eric, « The Best Rolex Available This Month And Other Highlights From Kaplans Of Sweden », Hodinkee (2014).
Légende de la première photographie: