Sept nouveaux trésors d’arts mécaniques.
Nous poursuivons ici, la présentation des œuvres horlogères les plus étonnantes du dernier salon « Watches & Wonders 2024 ». Comme à l’accoutumée (lire « 2024, année de l’Heure Déco ? »), nos choix sont éminemment subjectifs et bien évidemment, non exhaustifs. Nous mettons en lumière ces détails mécaniques et/ou décoratifs qui dénotent une forme de transgression face au sage discours de la profession, et qui sauront, par là même, creuser leurs propres sillons.
Texte: Hubert de Haro / HDH Publishing 2024.
"Cela devait se transmettre chez eux,
comme une science d'hirondelles"
Jean Giono, "Jean le bleu"
Sans concession : Sylvain Pinaud Origine
Pour ceux qui ont eu le privilège de le rencontrer cette année dans le pavillon de l’Académie des Horlogers Créateurs Indépendants, Sylvain Pinaud est avant tout, un être bienveillant, jovial et extrêmement ouvert au dialogue.
Son parcours dans l’horlogerie est discret jusqu’en 2019 où il remporte le titre de meilleur ouvrier de France pour sa première montre chronographe monopoussoir. Originaire de la région de Grenoble (France), et diplômé de l’École d’horlogerie de Morteau (France), il met en pratique ses connaissances théoriques dans les ateliers de l’horloger Franck Müller, à Genthod (Suisse).
Mais c’est à Sainte-Croix qu’il gagne en « maturité » horlogère et développe des convictions esthétiques bien personnelles. Dans la petite ville historique du Jura suisse, creuset de multiples talents horlogers et écosystème en soit, Sylvain Pinault apprendra auprès du restaurateur de pendules anciennes Dominique Mouret, toute l’importance de la décoration.
Soudain en 2022, les projecteurs se braquent sur lui : il remporte le prix de la révélation horlogère lors du prestigieux Grand Prix de l’Horlogerie de Genève. Une reconnaissance de ses pairs qui arrive à point nommé. Depuis, son carnet de commandes ne désemplit plus et son nom commence à s’afficher dans les médias spécialisés.
Interviewé en 2023, par Pierre Maillard d’Europa Star, l’horloger indépendant concluait par ces mots :
« Pour l’instant, ce qui compte pour moi, est d’être capable de livrer en temps voulu les pièces en commande. Et au-delà, mon but est tout simplement de continuer. Mais de continuer à mon rythme, le rythme raisonnable d’un artisan. Car mon objectif absolu est de conserver au maximum mon indépendance. »
Infinie grâce : Hermès Cut
Ne dit-on pas que le poète allemand Goethe se serait excusé auprès de son ami, à la fin de la lettre de 10 pages qu’il lui adressait, en écrivant : « désolé, je n’ai pas eu le temps de faire plus court ! »
Le groupe Hermès prend très au sérieux son activité d'horlogerie, initiée dans les années 1970. Détenteur de 20% du capital de Vaucher mouvements, et indépendant dans sa production de cadrans et de boîtes, Hermès occupe une place à part, dans le monde horloger contemporain. Celle d’une marque innovante, destinée surtout, à un public féminin.
La forme de la boîte – « un cercle dans un rond » - s’impose comme une évidence. Contemporaine, élégante et osée à la fois, la « Cut » s’adresse à un très large public et n’établit aucune frontière de genre. Tronquée sur ses flancs, la boîte cède au caprice de son designer et s’offre une couronne à 1 heure.
La typographie des chiffres arabes en applique de « PVP gris, revêtus de Super-LumiNova® – spécifiques à la ligne « Cut » - s’inscrit dans le registre du vocabulaire Hermès. Tout est nouveau, moderne et gracieux.
Entente transatlantique : Beauregard & Vianney Halter Ulysse
La bonne humeur d'Alexandre Beauregard est contagieuse.
Ce brillant artisan et gemmologue, établi à Montréal au Canada, s'est spécialisé dans la taille et dans le sertissage de pierres précieuses. Il collabore étroitement, avec de prestigieuses maisons telles que Hermès ou encore Van Cleef & Arpels.
Lors de notre rencontre au salon « Watches & Wonders », Alexandre Beauregard affiche un sourire radieux. Son édition de montres limitée à 10 exemplaires réalisée en partenariat avec l'horloger indépendant Vianney Halter, est épuisée. C’est pourquoi, il réfléchit déjà à une deuxième édition en platine.
Le succès immédiat de la montre « Ulysse » est tout à fait mérité.
Le cadran, un entrelacs unique et complexe d’élégants fils d’or aux motifs géométriques futuristes sertit soixante-cinq aigues-marines, chacune méticuleusement choisie et taillée pour rayonner à l’unisson, dans une diaphane consonance bleutée. L’ensemble évoque un émail cloisonné d’une remarquable finesse.
Tel un ancien dieu d’une civilisation disparue, un disque, en son cœur, symbolise majestueusement l’astre roi. Sur la périphérie de ce dernier, deux aiguilles, en surplomb par rapport au cadran principal, évoluent pour indiquer heures et minutes.
Au verso, la magie poursuit son enchantement : l’horloger Vianney Halter (établi à Sainte-Croix en Suisse) nous offre ici, un tour de prestidigitation, une nouvelle démonstration de sa virtuosité dans la réalisation d’un mouvement automatique où la masse oscillante s’avère absente...
Le choix même, du Maillechort - alliage de cuivre, de zinc et de nickel – renvoie aux codes esthétiques des montres de poche des siècles révolus. Il s’agit d’une référence, mais en aucun cas d’un carcan.
En effet, le constructeur a revisité dans son intégralité, l'architecture classique d'un calibre automatique. La masse oscillante, occultée, a permis de dégager un espace visuel. Les équipes ont certainement pris plaisir à se prêter à cet exercice de dissimulation, à travers le dessin en amont, et le modelage en aval, des différents composants du mouvement L’entraide et la collaboration, si caractéristiques de cet écosystème horloger, ont été le fer de lance de cette innovation :
Si l’ingéniosité et la dextérité de l’atelier Dzevad de Sainte-Croix, ont permis de livrer des composants aux formes jusqu’alors inconnues, Manufactor, de l’Abbaye dans la Vallée de Joux, s’est merveilleusement surpassé dans la savante décoration à la main, de ce mouvement inclassable.
De la belle « orfèvrerie horlogère ».
Renaissance : Cartier Tortue Chronographe Monopoussoir
La réédition de la montre Cartier Tortue Chronographe Monopoussoir est une bonne nouvelle.
@ Hubert de Haro / HDH Publishing 2024.
Présenté pour la première fois en 1926, ce modèle intègre une longue série de montres de forme - de la Tank en passant par la Panthère ou la Crash –, véritable spécialité de la maison parisienne. Par ailleurs, le marché de la deuxième main est tout aussi florissant pour la marque parisienne.
Si les modèles « Crash » atteignent des valeurs inégalées, se porter acquéreur d’une pièce historiques Tortue Chronographe Monopoussoir, est toujours chose rare.
Le design très épuré de cette nouveauté, en deux versions platine et en or jaune, reprend et développe avec brio, les codes esthétiques de son lointain ancêtre.
La décoration Opalin du cadran, ainsi que les index appliques sur la version platine, et enfin, les aiguilles bleues du type Breguet, sont autant de clins d’œil à une tradition stylistique caractéristique de la marque Cartier.
Au poignet, la Tortue Chronographe Monopoussoir version 2024 est confortable. Nous pourrions même souligner, étonnamment confortable aux vues de ses dimensions : 34.8 mm de large, 43.7 mm de long pour seulement 10.2 mm de hauteur.
Dans sa version 2024, la Tortue Chronographe Monopulsant est équipée du calibre 1928 MCde 4,3 mm de hauteur, terminé Côtes de Genève avec ponts, bascules et ressorts anglés. La roue de colonnes se trouvent à gauche sur la photographie. @ monochrome.
Côté mécanique, son nouveau calibre 128 MC est l’héritier « spirituel » de deux mouvements légendaires : celui des Établissements Jaeger à Paris, en 1926, et celui de la société « Techniques Horlogères Appliquées » en 1996.
La première date de l’année du lancement de la première Tortue Chronographe Monopoussoir en 1926. À l’époque, les mouvements Cartier proviennent essentiellement, des Établissements Jaeger à Paris, partenaires de Jacques-David Lecoultre, directeur et propriétaire de la Manufacture LeCoultre. Le fondateur Edmond Jaeger décède en décembre 1922. Tout indique que la Tortue Chronographe a donc été développée par quatre acteurs majeurs dont l’historien François Jequier rappelle les noms : « À la fin de décembre 1929, Edmond Jaeger, alors âgé de 72 ans, meurt à Paris. La direction de la SA des établissements Jaeger à Paris est réorganisée. Gustave Delage est nommé président- administrateur délégué, Henri Rodanet assume la direction technique et Edmond Audemars, celle du département commercial. Ces hommes vont jouer un rôle déterminant dans le développement de la société parisienne comme dans l’entreprise combière (ndlr : LeCoultre). Ils formeront avec Jacques David LeCoultre une équipe homogène » (dans « De la forge à la Manufacture Horlogère », 1983, p. 453). Lire aussi : « Entretien fictif avec Jacques-David Le Coultre sur le succès mondial impressionnant des compteurs Jaeger ».)
Plus récemment, en 1996, Cartier décide de relancer la Tortue Chronographe Monopoussoir dans le cadre de ses collections historiques dénommées Collection Privée Cartier Paris. La marque se tourne alors, vers la petite ville suisse de Sainte-Croix où officient trois ingénieux horlogers indépendants, fondateurs de la société « Techniques Horlogères Appliquées ». Il s’agit, ni plus ni moins, de François-Paul Journe, Denis Flageollet et Vianney Halter.
Virtuosité hypnotique : Jaeger-LeCoultre Duomètre Chronograph Moon
La Manufacture Jaeger-LeCoultre recèle des trésors d’inventivité mécanique. C’est par exemple le cas de la double complication Quantième perpétuel et réveil, (lire « Archéo-horlogerie » : la (re)découverte du Grand Réveil ») ainsi que de la ligne Duomètre.
Les passionnés de la Grande Maison se souviendront peut-être, du lancement en 2007, de l’étonnant mouvement mécanique de la Duomètre. Équipée de deux trains de rouage pour un seul échappement, la Duomètre avait alors fait, très forte impression, lors de son inauguration, présidée par Jérôme Lambert, ancien patron de la marque et CEO du groupe Richemont jusqu’en avril 2024. Loin de l’iconographie par trop célèbre de la collection Reverso, la toute nouvelle montre ronde s’affirmait ainsi, comme une sérieuse concurrente à l’ordre établi par les vénérables horlogers Patek Philippe, Vacheron Constantin ou encore A. Lange & Söhne.
L’exécution esthétique du chronographe avec phases de lune saura sans nul doute, contenter les plus exigeants, notamment dans sa version cuivrée, couleur saumon.
Vu de trois quarts, son verre saphir bombé, aux dimensions généreuses, souligne une personnalité tout à fait singulière, et améliore sensiblement, la lisibilité des différentes indications du cadran. En termes décoratifs, la manufacture a opté pour deux finitions traditionnelles : Opalin sur le cadran principal et azurage en périphérie des deux disques auxiliaires à 3h et à 9h.
Sous les disques, le cadran ajouré, de part et d’autre des secondes, offre deux perspectives plongeantes sur le calibre délicatement travaillé. L’ensemble évoque la stylisation d’une bouche souriante, sous deux yeux lumineux dont l’iris alterne phases du soleil (à gauche) et phases de lune (à droite).
La Duomètre « Chronograph Moon » affiche un dernier point fort, et non des moindres : un compteur des secondes, à 6 heures, effectuant une rotation complète en une seconde. L’étourdissante vitesse de rotation de sa petite aiguille est tout simplement fascinante.
L'observateur sera entraîné bien malgré lui, dans cette cadence sans fin. Le calibre 381 de la Duomètre vibre à 21 600 alternances par heure, soit six vibrations à la seconde. Les constructeurs ont donc divisé le compteur des secondes, en six intervalles réguliers.
La Duomètre « Chronograph Moon » est la digne héritière des pionnières de 2007. Si, non seulement elle impose le respect à toute la profession, elle exprime encore, un goût esthétique épuré des designers de la Grande Maison. Elle a tout pour plaire.
Éternelle portugaise : IWC Portugieser Calendrier Eternel
La marque IWC Schaffhausen revisite cette année, l’une de ses collections phares : la “Portugieser”. Avec ses 44,4 mm de diamètre, cette collection de montres s’est toujours distinguée de ses paires, par des dimensions hors norme. Une signature d’autant plus caractéristique qu’elle adhère aujourd’hui, à un contexte généralisé de retour à des diamètres plus modestes de 41/40 à 36 mm, dans le cas de montres pour homme.
Parmi les nouveautés 2024, le néophyte distinguera sans peine, la “Portugieser Eternal Calendar”. Ce nouveau quantième perpétuel s’inscrit dans une longue tradition, née dans les années 1980, comme le rappelle le CEO de IWC Schaffhausen Christian Knoop:
“Au début des années 1980, la marque IWC Schaffhausen s’est illustrée par un système mécanique astucieux, inventé à l’époque, par l’ingénieur Kurt Klaus : les indications du calendrier perpétuel étaient synchronisées et ajustables à travers une seule couronne”.
Quelle nouveauté apporte ce “calendrier éternel” ?
Pour faire simple, tous les calendriers perpétuels mécaniques doivent être corrigés en 2100, puis en 2200 et enfin, en 2300. L’IWC réf. IW505701 réalise cet ajustement fin, grâce à son rouage qui effectue une seule rotation en 400 années (!).
Au-delà de l’évidente prouesse technique, la marque modernise de surcroît, les codes esthétiques de ses différents quantièmes perpétuels. Le cadran présente ainsi, une profondeur surprenante, résultat d’une construction astucieuse en strates transparentes, dont les indications demeurent toutefois, parfaitement lisibles.
Quant à la forme bombée du verre, elle contribue à l’optimisation de la lecture des différentes indications du quantième perpétuel. Lorsque l’on imagine la complexité de rendre visible le jour de la semaine, le mois, l’année ainsi que les phases de lune, cette « Portugieser » se révèle être un authentique cas d’école pour les futurs designers. Lumineux.
Eppur si muove : KROSS Sudio Boba Fett™
C’est à l’invitation d’un ami que nous avons découvert la montre Boba FettTM développée et assemblée par le Studio Kross, à Gland, en Suisse.
La saga de la Guerre des Étoiles recèle un répertoire riche pour les designers. Le nouvel atelier Kross s’est donc ici, inspiré du personnage de Boba FettTM, chasseur de prime dans la série, pour développer une interprétation résolument contemporaine du tourbillon central.
Le regard embarque dans un tourbillon d’émotions, lorsqu’il s’abîme précisément, au cæur du tourbillon central de la montre, sur lequel est ancrée la maquette miniature du vaisseau spatial de Boba FettTM, exécutée de main de maître en ayant recours à plusieurs / une panoplie de Métiers d'art.Le verre saphir bombé de la montre permet une lisibilité parfaite du croiseur stellaire en mouvement, à une vitesse précise de 360° par minute. Dans des tonalités de vert kaki, le cadre scénique est en accord avec les actuels codes couleurs environnementaux.
Eppur si muove se serait exclamé Galilée dans une vaine tentative de convaincre ses contemporains, que la terre tourne bien autour du soleil...